Après trois ans de travail, une équipe de neuroscientifiques de l’Allen Institute for Brain Science dévoile la toute première carte 3D complète du cerveau de souris. Elle contient les coordonnées de 100 millions de cellules cérébrales ! Parce que cet animal est couramment utilisé dans les recherches en neurologie, ce nouvel outil sera d’une aide précieuse lors d’expérimentations futures.
Librement accessible, cet atlas du cerveau de souris est une extraordinaire banque de données pour tous les experts en neurologie. Il permettra notamment d’éliminer les aspects les plus fastidieux de l’expérimentation neurologique. En effet, traditionnellement, l’analyse du cerveau d’un animal implique une numérisation de tranches minces de l’organe (en 2D) ou l’enregistrement de l’activité neuronale au moyen d’électrodes. La disponibilité d’une carte virtuelle de l’ensemble du cerveau permet donc de s’affranchir de ces étapes laborieuses. En outre, pour les études modernes de neurosciences, qui tendent à examiner l’activité neuronale du cerveau dans son ensemble, ces cartes 2D ne suffisent plus : un atlas en 3D fournit un bien meilleur contexte d’étude.
Une carte haute résolution, qui permet de localiser chaque cellule
Il a fallu trois ans aux auteurs pour collecter l’ensemble des données nécessaires et dessiner pas-à-pas la structure de cet organe qui ne mesure pourtant qu’une douzaine de millimètres ! Baptisé Allen Mouse Brain Common Coordinate Framework, ou CCFv3, cet atlas haute résolution vise à devenir le point de référence pour toute la communauté des neurosciences, selon ses créateurs.
Le cerveau de souris contient environ 100 millions de cellules, réparties dans des centaines de régions différentes. Ces petits rongeurs sont très utilisés dans la recherche biomédicale. En effet, sur le plan génétique, la souris est très similaire à l’Homme : tous deux possèdent 99 % de gènes homologues. En outre, l’animal est particulièrement facile à élever en laboratoire (son développement est rapide et il offre une importante descendance).
Mais au fil du temps et des expérimentations, les ensembles de données en neurosciences sont devenus plus grands et plus complexes ; une carte spatiale commune du cerveau est rapidement devenue indispensable. Un tel outil permet non seulement de trouver des données, pour comparer et corréler des résultats, mais aussi de les partager avec toute la communauté scientifique. Des millions de repères cérébraux sont désormais précisément localisés par leurs coordonnées sur cette carte complexe.
En réalité, cet atlas s’appuie sur plusieurs travaux antérieurs de cartographie cérébrale. Une carte partielle, représentant l’ensemble du cortex de la souris – la « coquille » la plus externe du cerveau – avait déjà été publiée en 2016. Mais les précédentes cartes affichaient une résolution bien inférieure à celle du CCFv3 : sa résolution (10 μm) est telle qu’il permet de localiser les cellules individuellement !
Cette carte cérébrale peut être vue comme l’équivalent du GPS de votre téléphone : au lieu de chercher votre position sur un atlas en papier à l’aide d’indices visuels, le GPS vous indique directement où vous vous situez. Cet atlas du cerveau offre le même service et vient combler un besoin grandissant : « Autrefois, les gens définissaient différentes régions du cerveau à l’œil nu. À mesure que nous obtenons de plus en plus de données, cette curation manuelle n’est plus adaptée », explique Lydia Ng, directrice principale de la technologie à l’Institut Allen et co-auteure de l’article paru dans la revue Cell. « Tout comme nous avons une séquence génomique de référence, nous avons besoin d’une anatomie de référence ».
Une carte cérébrale « vivante » et évolutive
L’atlas est déjà utilisé par plusieurs neuroscientifiques. Récemment, Nick Steinmetz, professeur adjoint à l’Université de Washington, a utilisé l’atlas dans une étude dédiée à l’activité neuronale des souris lorsqu’on leur propose de faire un choix entre différentes images. Pour ce faire, Steinmetz et son équipe ont utilisé des neuropixels, de minuscules sondes électriques qui peuvent capturer l’activité de centaines de neurones à la fois dans plusieurs régions cérébrales différentes.
Mais lors de leurs expérimentations, il s’est avéré que plusieurs régions du cerveau étaient impliquées dans le choix visuel, bien plus qu’ils ne le pensaient au départ. L’atlas CCFv3 leur a permis d’avoir une vue bien plus large : « Lorsque vous enregistrez des données à partir de centaines de sites à travers le cerveau, cela introduit une nouvelle échelle d’investigation. Vous devez avoir une vue plus large de l’emplacement de tous les sites d’enregistrement, et le CCF est ce qui a rendu cela possible », se réjouit-il.
Pour aboutir à cet atlas complet et détaillé, les chercheurs ont divisé le cerveau de souris en minuscules blocs 3D virtuels de 10 micromètres, appelés voxels – un voxel étant l’équivalent 3D du pixel – et ont attribué à chaque bloc une coordonnée unique. L’équipe a ensuite affecté chacun des voxels à l’une des centaines de régions connues du cerveau de la souris. Les données qui ont ensuite alimenté cette construction en 3D provenaient de l’anatomie cérébrale moyenne de près de 1700 souris ; elles ont été recueillies lors d’expériences menées à l’Institut Allen au cours des dernières années.
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Bien que cette nouvelle version soit l’atlas du cerveau le plus complet à ce jour, l’équipe espère continuer à le développer à mesure qu’elle en apprendra plus. « Comme nous le savons maintenant, les atlas devraient être des ressources évolutives et vivantes, car à mesure que nous en apprendrons davantage sur l’organisation du cerveau, nous devrons faire des mises à jour », a déclaré Julie Harris, neuroanatomiste de l’Institut Allen. Cependant, les futures versions de l’atlas s’appuieront probablement sur l’apprentissage automatique ou d’autres formes d’automatisation, plutôt que sur la laborieuse curation manuelle qui a permis de produire la version actuelle.