Un casse-tête que même les ordinateurs quantiques ne pourraient résoudre : les phases exotiques de la matière

Un calcul qui prendrait des millions, voire des milliards d’années, même pour un ordinateur quantique.

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Des physiciens ont identifié un scénario lié à des phases exotiques de la matière qui serait mathématiquement impossible à résoudre, même pour les ordinateurs quantiques les plus performants. Bien que ces phases soient peu susceptibles de se produire au cours d’expériences réelles, elles constitueraient un diagnostic des limites pouvant entraver ces ordinateurs et amélioreraient notre compréhension d’une technologie dont on pensait le potentiel quasi illimité.

Les phases de la matière constituent l’un des aspects fondamentaux de la physique moderne. Elles offrent également des principes d’organisation essentiels à la compréhension des systèmes quantiques complexes. Les phases classiques sont régies par ce qu’on appelle le « paradigme de Landau », selon lequel les transitions sont provoquées par une brisure spontanée de symétrie dans l’agencement des molécules au sein du système.

Les phases quantiques de la matière, elles, s’étendent au-delà du paradigme de Landau. Elles incluent notamment les phases topologiques, caractérisées par des invariants mathématiques particuliers, où le système peut présenter, par exemple, des courants électriques spécifiques. L’identification de ces différentes phases intéresse tout particulièrement les physiciens, car elle est essentielle au développement des technologies quantiques.

Cependant, malgré plusieurs décennies de recherche, la détermination des phases quantiques de la matière demeure l’un des problèmes les plus complexes de la physique. Tous les algorithmes d’identification de phase nécessitent des temps d’exécution extrêmement longs, les rendant pratiquement impossibles à exécuter sur des ordinateurs classiques.

Les ordinateurs quantiques, eux, sont souvent présentés comme des technologies capables d’effectuer en un temps réduit des calculs presque impossibles à résoudre par des systèmes conventionnels — un seuil connu sous le nom d’« avantage quantique ». On pourrait donc imaginer qu’ils soient en mesure de résoudre la question des phases quantiques de la matière.

Cependant, une équipe du California Institute of Technology, de l’Université de Harvard et de Google Quantum AI a démontré que ce défi dépasserait même les capacités des ordinateurs quantiques les plus puissants. « Nous prouvons que la reconnaissance de la phase de la matière d’un état quantique inconnu est un problème complexe du point de vue du calcul quantique. Plus précisément, nous montrons que le temps de calcul quantique de tout algorithme de reconnaissance de phase doit croître exponentiellement avec l’étendue des corrélations de l’état inconnu », expliquent les chercheurs dans leur étude prépubliée sur la plateforme arXiv. « Cette croissance exponentielle rend le problème pratiquement insoluble », ajoutent-ils.

Des calculs qui prendraient des millions, voire des milliards d’années

Les chercheurs ont mené une analyse mathématique d’un scénario dans lequel un ordinateur quantique reçoit un ensemble de données sur l’état quantique d’un système et doit en identifier la phase. Ils ont constaté qu’une grande partie des phases quantiques nécessitent un temps de calcul exceptionnellement long pour être reconnues — un délai équivalent à l’analyse d’un échantillon dont l’étude demanderait de laisser un instrument fonctionner pendant des millions, voire des milliards d’années.

« Nos résultats s’appliquent aussi bien aux états fondamentaux qu’aux états mixtes et englobent les phases avec ou sans invariance par translation (sur des cellules unitaires suffisamment grandes) », précisent-ils. Un système présente une invariance de translation lorsqu’il reste inchangé lorsqu’on le translate dans l’espace, c’est-à-dire lorsque ses propriétés se répètent périodiquement.

« Nous étendons également nos résultats aux phases purement classiques de la matière en utilisant des techniques distinctes. Dans tous ces contextes, nous démontrons que la complexité de la reconnaissance de la phase de la matière d’un état quantique ou classique inconnu croît exponentiellement avec la portée des corrélations 𝜉 de l’état », ajoutent-ils.

Ces conclusions ne signifient pas pour autant que les ordinateurs quantiques soient inutiles pour ce type de tâche, précisent les auteurs. Le problème se pose principalement pour les phases complexes, peu susceptibles d’apparaître dans les matériaux connus.

Elles fournissent néanmoins de précieuses indications sur les limites potentielles des ordinateurs quantiques, malgré leurs performances attendues. Ces travaux relient également l’informatique quantique à la physique de la matière, ouvrant potentiellement une voie pour faire progresser les deux domaines à la fois. À l’avenir, l’équipe prévoit d’étendre ses analyses aux phases quantiques plus énergétiques de la matière, connues pour être encore plus difficiles à calculer.

Source : arXiv
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