Des scientifiques ont découvert que, contrairement à la plupart des cellules de notre corps, les neurones du cerveau pouvaient modifier leurs gènes. Cette nouvelle étude parue dans la revue Nature, suggère que cette modification du génome peut élargir le répertoire de protéines du cerveau, mais qu’elle peut de ce fait également favoriser l’apparition de la maladie d’Alzheimer.
C’est dans les années 1970 que les scientifiques ont découvert pour la toute première fois que certaines cellules pouvaient mélanger et éditer de l’ADN. En effet, certaines cellules immunitaires extraient des fragments de gènes qui codent pour des protéines, détectant ou combattant les agents pathogènes, puis épissent les fragments restants pour créer de nouvelles variétés.
Nos cellules B par exemple, peuvent potentiellement engendrer environ 1 quadrillion de types d’anticorps, suffisamment pour contrer un nombre considérable de bactéries, de virus et d’autres attaquants.
À présent, les scientifiques ont constaté des indices qu’un tel remaniement génomique, connu sous le nom de recombinaison somatique, se produisait dans le cerveau.
« C’est potentiellement l’une des plus grandes découvertes dans le domaine de la biologie moléculaire, depuis des années », déclare Geoffrey Faulkner, biologiste moléculaire à l’Université du Queensland à Brisbane, en Australie, qui n’a pas participé à la recherche. « C’est une étude historique », confirme le neurologue clinicien Christos Proukakis, de l’University College London.
Il faut savoir que dans le cerveau, les neurones y diffèrent souvent considérablement les uns des autres. En effet, ces derniers ont souvent plus d’ADN ou des séquences génétiques différentes, que les cellules qui les entourent.
Vous aimerez également : La position de l’ADN dans le noyau détermine le comportement des cellules
Dans le but de rechercher des preuves définitives de la recombinaison somatique dans le cerveau, le neuroscientifique Jerold Chun, du Sanford Burnham Prebys Medical Discovery de San Diego (Californie), ainsi que ses collègues, ont analysé les neurones provenant du cerveau de six personnes âgées en bonne santé et de sept patients atteints de la forme non héritée de la maladie d’Alzheimer (ce qui représente la plupart des cas).
Les chercheurs ont alors vérifié si les cellules hébergeaient différentes versions du gène de la protéine précurseur de l’amyloïde (APP), source des plaques dans le cerveau des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Ils ont ensuite estimé que le gène de l’APP constituait un bon candidat, car une de leurs études précédentes avait suggéré que les neurones de patients atteints de la maladie d’Alzheimer pouvaient héberger des copies supplémentaires du gène, une augmentation qui pourrait résulter de la recombinaison somatique.
La nouvelle analyse des scientifiques, publiée hier dans la revue Nature, démontre que les neurones semblent porter non pas une ou deux variantes du gène APP, mais des milliers. Certains changements ont impliqué la commutation de bases nucléotidiques simples, les sous-unités d’ADN qui constituent le code génétique. Dans certains cas, les variantes du gène APP avaient jeté des morceaux d’ADN, et les sections restantes avaient été tissées ensemble.
Chun et ses collègues ont également découvert que les neurones des patients atteints de la maladie d’Alzheimer contenaient environ six fois plus de variétés du gène de l’APP que les cellules des personnes en bonne santé. Parmi les altérations dans les neurones des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, figuraient 11 mutations qui se produisent dans les formes héréditaires rares de la maladie. Les neurones des sujets décédés sans la maladie n’avaient pas ces mutations. « Plutôt que d’avoir un modèle constant qui reste avec nous tout au long de la vie, les neurones ont la capacité de changer ce dernier », explique Chun.
Cette capacité peut bénéficier aux neurones en leur permettant de générer un mélange de versions d’APP qui améliorent l’apprentissage, la mémoire ou d’autres fonctions cérébrales. Cependant, les scientifiques concluent que la recombinaison somatique peut favoriser la maladie d’Alzheimer chez certaines personnes, en produisant des versions nocives de la protéine ou en endommageant les cellules du cerveau de différentes manières.
Mais alors, d’où proviennent toutes ces variantes de gènes ? Chun et son équipe de recherche pensent que le remaniement des gènes dépend d’une enzyme appelée transcriptase inverse, qui fabrique des copies d’ADN à partir des molécules d’ARN. Selon les chercheurs, une nouvelle variante pourrait apparaître lorsqu’un neurone produit une copie d’ARN du gène APP : cette étape fait partie de la procédure normale de la cellule pour produire des protéines.
En effet, la transcriptase inverse peut ensuite recopier la molécule d’ARN pour en faire une copie ADN du gène APP, qui réintègre alors le génome. Mais comme la transcriptase inverse est « une copie bâclée », explique Chun, cette nouvelle version pourrait ne pas correspondre au gène d’origine, et être codé pour une variante différente de l’APP.
À savoir que « les médicaments qui bloquent la transcriptase inverse font partie de la panoplie de traitements standards pour combattre l’infection par le VIH, et pourraient également agir contre la maladie d’Alzheimer », suggère Chun.
À l’heure actuelle, certains scientifiques souhaitent avoir plus de preuves que cette enzyme possède bien un rôle important : « Bien qu’il semble que la transcriptase inverse soit impliquée, il y a beaucoup de travail à faire pour le prouver », déclare le virologue John Coffin de l’Université Tufts à Boston, qui n’a pas participé à l’étude.
Un autre virologue, Steven Wolinsky de la Feinberg School of Medicine de la Northwestern University à Chicago, dans l’Illinois, a prévenu qu’il serait prématuré de traiter les patients atteints de la maladie d’Alzheimer avec des médicaments inhibant la transcriptase inverse : « nous n’avons pas encore les données pour justifier leur utilisation », annonce-t-il.
L’équipe de recherche de Chun n’a pas détecté de signes de recombinaison somatique dans les cellules d’autres organes du corps, ou dans un gène actif dans le cerveau, différent de celui qu’ils ont découvert. Bien entendu, Faulkner et Proukakis soulignent le fait qu’à présent, d’autres groupes de recherche devront reproduire les résultats de ce travail afin de confirmer cette découverte inattendue.
Si la recombinaison somatique se produit bel et bien dans les neurones, comme le suggère la nouvelle étude de ces chercheurs, alors elle pourrait également être impliquée dans d’autres maladies du cerveau, telles que la maladie de Parkinson par exemple. Une affaire à suivre de très près.