La nouvelle est tombée hier en fin d’après-midi : après plusieurs heures de combat, le site de l’ancienne centrale nucléaire, localisé à la frontière nord de l’Ukraine, est tombé aux mains des forces russes. Pour le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, cet acte signe une déclaration de guerre à l’ensemble de l’Europe : les déchets radioactifs sont toujours stockés sur place et selon les experts, si une arme lourde venait à toucher l’un de ces entrepôts, des particules radioactives pourraient être dispersées dans l’air.
Depuis la catastrophe de 1986, Tchernobyl est devenue une zone fantôme. La centrale ne produit plus d’électricité depuis l’an 2000 ; seuls quelques ouvriers, chargés d’assurer la maintenance et la sécurité du site, y travaillent encore. Le réacteur accidenté est recouvert d’une arche étanche, un dispositif de confinement mis en place en 2016, destiné à remplacer le sarcophage initial construit en 1986. Cette arche abrite d’importantes quantités de matériaux radioactifs. La prise de contrôle de cette zone hautement contaminée inquiète vivement le président ukrainien, ainsi que l’ensemble des gouvernements européens.
« Il est impossible de dire que la centrale nucléaire de Tchernobyl est sûre après une attaque totalement inutile des Russes. C’est l’une des menaces les plus sérieuses en Europe aujourd’hui », a déclaré hier un conseiller de la présidence ukrainienne, Mykhailo Podolyak. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) suit la situation en Ukraine avec une vive inquiétude et appelle à la plus grande retenue pour éviter toute action susceptible de mettre en danger les installations nucléaires du pays, a déclaré dans un communiqué le directeur général de l’agence, Rafael Mariano Grossi.
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Des retombées nucléaires qui menacent potentiellement toute l’Europe
« Nos défenseurs donnent leur vie pour que la tragédie de 1986 ne se répète pas », a tweeté le président ukrainien Volodymyr Zelenskiy peu avant la prise de la centrale. Il s’agit de la plus grande attaque contre un État européen depuis la Seconde Guerre mondiale. Les forces russes affirment avoir déjà détruit 11 aérodromes et 18 stations radar des systèmes de défense antimissile. L’aéroport international d’Antonov serait également tombé sous le contrôle de l’envahisseur. Une source russe a déclaré que la Russie souhaitait contrôler le réacteur nucléaire de Tchernobyl pour faire comprendre à l’OTAN qu’elle ne doit pas intervenir militairement, rapporte Reuters.
La zone d’exclusion de Tchernobyl — qui englobe tout sur un rayon de 30 kilomètres autour de l’ancienne centrale — est l’un des endroits les plus radioactifs au monde. Un conseiller du ministère ukrainien de l’Intérieur a averti que les combats autour de la centrale pourraient endommager les infrastructures de stockage des déchets nucléaires ; en cas d’explosion, de la poussière radioactive dangereuse pourrait se répandre en Ukraine et en Biélorussie, mais aussi à travers toute l’Europe.
Karine Herviou, directrice générale adjointe de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), a déclaré à France Info qu’il était « très difficile de dire si cette dispersion dans l’air se limiterait à l’échelle locale, régionale ou irait au-delà » ; ceci dépend notamment de la force de l’impact et des conditions météorologiques. Mais même un accident local aurait des conséquences désastreuses, car il rendrait le site inaccessible au personnel chargé d’assurer la maintenance et la sécurité des lieux, souligne Karine Herviou.
Des scientifiques contraints de fuir les zones de conflit
Au cours des dernières semaines, la Russie a nettement renforcé ses troupes armées : quelque 130 000 soldats russes se trouvaient tout le long de sa frontière avec l’Ukraine, ainsi qu’en Biélorussie, dont 7500 étaient positionnés dans la zone d’exclusion. Des images satellites publiées sur Twitter (obtenues via un satellite Maxar) montrent que dès le 15 février, un nouveau pont était érigé sur la rivière Pripyat, du côté biélorusse, à environ 6 km de la frontière ukrainienne et à une vingtaine de kilomètres de la centrale. Ce pont aurait peut-être servi à faciliter le transport des troupes russes jusqu’à leur cible.
L’invasion de l’Ukraine s’est déroulée en moins de 24 heures. Les bases militaires ont été rapidement attaquées, de nombreuses villes ont été bombardées, menaçant la vie des millions de citoyens ukrainiens. La semaine dernière, alors que l’invasion de la Russie était encore incertaine, les scientifiques ukrainiens confiaient à Nature qu’ils craignaient pour leur vie et leur avenir ; plusieurs ont pris des mesures pour protéger leurs travaux de recherche et se préparaient à fuir. Les chercheurs craignaient notamment que le conflit réduise à néant les progrès scientifiques réalisés depuis la révolution ukrainienne de 2014 — suite à laquelle le peuple a élu un gouvernement pro-européen.
« En ce moment, je suis assise dans un endroit chaud et Internet est disponible. Je ne sais pas si ce sera le cas demain », a déclaré Irina Yegorchenko, mathématicienne à l’Institut de mathématiques de Kiev, situé près de la frontière entre l’Ukraine et la Biélorussie. Lorsque la Russie s’est emparée de la péninsule de Crimée en 2014, toutes les institutions de recherche de la région sont passées sous contrôle russe. Les conflits qui ont perduré à l’est du pays, notamment dans les régions de Luhansk et Donetsk, ont poussé la délocalisation de plusieurs universités vers d’autres régions plus sûres ; de nombreux chercheurs avaient en effet perdu leurs laboratoires.
L’Université nationale agraire de Sumy, située à 30 kilomètres de la frontière avec la Russie, avait préparé son personnel à une invasion éventuelle. Il était notamment prévu de déplacer des équipements scientifiques uniques et des spécimens biologiques hors de la région, rapporte Nature. « Dans des conversations privées, les scientifiques disent avoir collecté des ‘valises d’urgence’ contenant des documents et des produits de première nécessité », a déclaré Yurii Danko, économiste à l’Université nationale agraire de Sumy, ajoutant qu’en cas de conflit, de nombreux scientifiques seraient contraints de se rendre en zone sûre, voire à l’étranger. « En cas d’occupation, les scientifiques ne travailleront pas pour l’ennemi », a-t-il ajouté.