Il y a plus de 40 ans, les virologues découvraient un virus bactériophage au génome tout à fait unique puisque toutes les bases A (adénine) de son ADN étaient remplacées par des bases Z (2-aminoadénine). Pensant qu’il s’agissait d’un cas isolé et ponctuel, les scientifiques n’ont pas donné suite à l’étude de ce virus. Mais récemment, trois équipes travaillant en collaboration ont analysé en détail ce cyanophage et ont confirmé que non seulement son génome — baptisé génome Z — était complètement différent de tout génome connu, mais ont découvert qu’en plus il existait tout un groupe de bactériophages possédant ce même génome. Un résultat passionnant en matière de diversité génomique et qui devrait en outre avoir d’importantes répercussions en exobiologie.
Les virus qui infectent les bactéries — appelés bactériophages — et leurs proies sont en guerre depuis des milliers d’années, chacun évoluant dans le but de contrer les stratégies développées par l’autre. Finalement, certains bactériophages ont porté cette course aux armements à un nouveau niveau en changeant la façon dont ils codent leur ADN.
Du moins, c’est ce que nous pensions. Autrefois considéré comme peu plausible, de nouvelles recherches publiées dans trois articles distincts montrent qu’il existe toute une catégorie de bactériophages avec un ADN non standard, que les chercheurs appellent un génome Z.
« L’ADN génomique est composé de quatre nucléotides standards. Ces nucléobases forment l’alphabet génétique, ATCG, qui est conservé dans tous les domaines de la vie », écrivent les biologistes Michael Grome et Farren Isaacs dans l’éditorial scientifique accompagnant la nouvelle recherche sur la génétique des bactériophages.
« Cependant, en 1977, le virus à ADN cyanophage S-2L a été découvert avec toutes les instances de A substituées par la 2-aminoadénine (Z) dans tout son génome formant l’alphabet génétique ZTCG », ajoutent-ils.
La raison semblait être l’autoprotection. Dans les « échelons » de connexion d’une double hélice d’ADN, la base « Z » forme une triple liaison à la base « T » opposée, une de plus que les deux liaisons de la connexion régulière A-T. Cela rend le génome viral plus résistant et plus difficile pour les bactéries à attaquer avec des produits chimiques appelés nucléases.
Un génome Z retrouvé chez plusieurs bactériophages
Aucun autre bactériophage n’a été trouvé avec le génome Z, et avec la difficulté de cultiver S-2L dans un laboratoire, le génome Z a été mis de côté comme curiosité. Désormais, des recherches documentées dans trois études distinctes menées par des chercheurs en France et en Chine montrent qu’il ne s’agissait pas d’une opération ponctuelle, tout en caractérisant également le fonctionnement du génome Z et son assemblage.
« Les scientifiques rêvent depuis longtemps d’augmenter la diversité des bases. Nos travaux montrent que la nature a déjà trouvé un moyen de le faire », écrit l’une des équipes, dirigée Yan Zhou de l’Université de Tianjin. L’équipe de Zhou, avec un autre groupe dirigé par le microbiologiste de l’Institut Pasteur Dona Sleiman, a trouvé deux protéines majeures qu’ils ont appelées PurZ et PurB ; celle-ci constitue la base « Z ».
Un troisième groupe, dirigé par la biologiste synthétique de l’Université Paris-Saclay, Valérie Pezo, a corroboré ces résultats et analysé une enzyme — appelée DpoZ — qui est responsable de l’assemblage de l’ensemble du génome Z. Les trois ont recherché dans les bases de données de séquences génétiques les séquences relatives à leurs protéines et enzymes, et ont trouvé une grande variété de bactériophages avec des gènes similaires.
Compatibilité génétique et exobiologie
« Les auteurs ont fait un travail incroyablement complet en montrant que ce n’est pas un concept aberrant, mais que tout un groupe de bactériophages possède bien ce type de matériel génétique », affirme Jef Boeke, biologiste moléculaire à l’Université de New York. Il reste encore beaucoup de questions sur le génome Z. Par exemple, un génome Z est-il compatible avec une machinerie cellulaire régulière comme la nôtre ? Et pourrait-il être utilisé de la même manière que l’ADN artificiel commence à l’être ?
« La base Z a été identifiée sans ambiguïté dans une météorite carbonée et proposée comme une nucléobase qui aurait pu être disponible pour l’origine de la vie. Considérant que la base Z a été découverte dans une météorite, nos travaux pourraient susciter l’intérêt pour la recherche interdisciplinaire sur les origines de la vie et l’exobiologie », conclut l’équipe dirigée par Zhou dans son article.