Un astrophysicien de l’Université de Bologne et un neurochirurgien de l’Université de Vérone se sont récemment livrés à une étude relativement étrange : ils ont comparé le réseau de neurones du cerveau humain au réseau cosmique de galaxies, pour examiner leur structure respective. Il se trouve qu’ils ont mis en exergue plusieurs similitudes troublantes.
Dans le cadre de cette étude, publiée dans la revue Frontiers in Physics, les deux chercheurs italiens ont ainsi comparé une simulation du réseau de galaxies à des coupes du cortex cérébral et du cervelet. L’objectif était d’observer comment les fluctuations de matière se dispersent dans chacun de ces agencements.
Le cerveau humain et le réseau cosmique de galaxies sont sans doute les deux systèmes les plus complexes de la nature. Malgré l’énorme différence d’échelle entre ces deux réseaux (plus de 27 ordres de grandeur les séparent !), la comparaison quantitative menée par les deux scientifiques suggère que les mêmes processus physiques pourraient être à l’origine de l’auto-organisation de ces structures, qui sont aujourd’hui de même niveau de complexité.
La même structure, à deux échelles distinctes
Notre cerveau est constitué d’un vaste réseau d’environ 86 milliards de neurones et d’un nombre quasi identique de cellules non neuronales. Il se compose d’eau (77−78%), de lipides (10−12%), de protéines (8%), de glucides (1%), de substances organiques solubles (2%) et de sel (1%). De son côté, l’Univers observable se compose d’un réseau cosmique d’au moins 2600 milliards de galaxies. Il est constitué d’environ 73% d’énergie noire, de 22,5% de matière noire, de 4,4% de matière baryonique ordinaire et de moins de 0,1% de photons et neutrinos.
Ainsi, neurones et galaxies ne constituent respectivement qu’une petite portion du rapport masse/énergie du cerveau et de l’Univers : près de 75% ne sont composés que d’un élément « passif », à savoir l’eau dans le cerveau et l’énergie noire dans l’Univers. Dans les deux systèmes, environ 1010 à 1011 nœuds sont interconnectés via des filaments (neuronaux et galactiques) — en considérant comme « nœud » toutes les galaxies de masse comparable ou supérieure à la Voie lactée.
Pour se livrer à leur analyse quantitative, les chercheurs ont examiné plusieurs échantillons indépendants de cortex cérébral et cérébelleux humain (des coupes de 4 μm). Leur simulation cosmologique a produit une distribution réaliste et actuelle de matière noire, de matière ordinaire et de champs magnétiques. Au plus fort grossissement (x40) des coupes de cerveau, le réseau de corps neuronaux et de filaments présentait une certaine similitude avec la toile cosmique.
Pour analyser les fluctuations de matière dans l’un et l’autre système, les scientifiques ont calculé la densité spectrale de chacun d’eux. « C’est une technique souvent employée en cosmologie pour étudier la distribution spatiale des galaxies », explique Franco Vazza. Or, leur analyse a montré que la fluctuation au sein du cerveau — sur une échelle de 1 micromètre à 0,1 millimètre — suivait la même progression que la distribution de matière dans le réseau cosmique, qui elle, s’étend de 5 millions à 500 millions d’années-lumière.
Les chercheurs se sont également intéressés à d’autres paramètres caractérisant les deux systèmes, notamment le nombre moyen de connexions pour chaque nœud et la tendance au regroupement de plusieurs connexions autour d’un nœud central majeur du réseau. Ici encore, la ressemblance était surprenante. Ce qui a conduit les deux collègues à penser que la connectivité au sein de ces deux réseaux était probablement guidée par des principes physiques identiques. Alors même que les forces régulant les galaxies et les neurones sont évidemment complètement différentes…
Une ressemblance qui pourrait démêler certains mystères
Les deux chercheurs expliquent dans leur article que le cerveau humain est une structure complexe, à plusieurs échelles temporelles et spatiales, dans laquelle coexistent des phénomènes cellulaires, moléculaires et neuronaux. Il peut être modélisé comme un réseau hiérarchique, dans lequel les neurones se regroupent en circuits, colonnes et différentes zones fonctionnelles interconnectées. Cette structure permet de relier différentes zones du cerveau, constituant ainsi la base de la cognition. Certains des défis majeurs des neurosciences contemporaines sont de démêler ce réseau hiérarchique et de comprendre comment sont produites les fonctions cognitives complexes.
L’Univers, quant à lui, semble être raisonnablement bien décrit par un modèle physique « consensuel » appelé le modèle ΛCDM (Lambda Cold Dark Matter), qui tient compte de la gravité issue de la matière ordinaire et de la matière sombre, de l’espace-temps en expansion décrit par la relativité générale, et de l’énergie antigravitationnelle associée à l’espace vide appelée « énergie noire ». La distribution initiale des fluctuations de densité de matière a été amplifiée par l’action de la gravité et s’est développée en amas plus grands de galaxies, de filaments galactiques et de vides, dans toutes les directions de l’espace, formant un réseau à large échelle.
Parmi les principaux défis auxquels la cosmologie est encore confrontée aujourd’hui, restent à éclaircir la nature physique de l’énergie noire, la composition de la matière noire, la tension apparente entre différentes mesures du taux d’expansion de l’Univers, ou encore la séquence exacte des processus responsables de la variété de la morphologie des galaxies et de leur co-évolution avec les trous noirs supermassifs.
La découverte de tant de similarités entre le cerveau et l’Univers pourrait ainsi constituer une nouvelle piste vers la résolution des différents mystères qui entourent l’un et l’autre système. « Ces deux réseaux complexes présentent plus de similitudes entre eux que ce que l’on pourrait observer entre le réseau cosmique et une galaxie ou entre le réseau neuronal et un neurone », résume Alberto Feletti. Les chercheurs estiment que ces étonnants résultats pourraient conduire à de nouvelles techniques d’analyse dans les deux domaines — cosmologie et neurochirurgie — qui permettront de mieux comprendre la dynamique sous-jacente de l’évolution temporelle de ces deux systèmes.