Le cerveau peut rester jeune à 80 ans : l’énigme des « SuperAgers » enfin décryptée

Des traits biologiques et comportementaux spécifiques à la base de leur résilience cérébrale.

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Un cerveau de SuperAger donné à l'Université Northwestern de Chicago, Illinois. | Shane Collins/Université Northwestern
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En analysant 25 ans de données pour tenter de percer les secrets des « SuperAgers », ces personnes dotées d’une mémoire exceptionnelle à plus de 80 ans, des chercheurs ont découvert qu’elles remettent en question la croyance de longue date selon laquelle le déclin cognitif accompagne inévitablement le vieillissement. Ces personnes possèderaient des traits biologiques et comportementaux spécifiques leur conférant une étonnante résilience cérébrale même à un âge avancé. Ces données pourraient, à terme, mener à de nouvelles stratégies pour retarder le vieillissement cérébral chez les individus normaux.

Le cerveau humain est un système dynamique dont la plasticité se construit et évolue au fil du temps. Du début de développement jusqu’à l’âge adulte, la plasticité fonctionnelle et constructive domine. Cependant, cette plasticité diminue avec le vieillissement, parallèlement à celui de l’ensemble de l’organisme. Une coupure à la peau met par exemple deux fois plus de temps à cicatriser à 40 ans qu’à 20 ans et la régénération cérébrale après une lésion est significativement plus rapide chez les jeunes adultes, lors d’expériences sur des rats.

Bien que les effets du vieillissement impactent tous les organes du corps, le cerveau y est particulièrement vulnérable. Cela s’explique par le fait que la plupart des neurones du système nerveux central des adultes sont post-mitotiques, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent plus se diviser et que leur nombre est établi après la fin du développement cérébral, les rendant ainsi plus vulnérables aux effets du temps.

D’autre part, mis à part la transmission des signaux nerveux, les neurones transportent d’énormes quantités d’organites et consomment beaucoup d’énergie pour le traitement des informations. Compte tenu de cette charge de travail et de l’usure qui en résulte, il n’est pas étonnant que les neurones soient plus exposés aux effets du vieillissement. Les cerveaux vieillissants perdent d’ailleurs en poids, en volume, en tailles de neurones et de synapses, sont plus réactifs à l’inflammation, etc.

Des cerveaux qui défient le temps

Ces effets ont poussé les neurobiologistes à penser que le déclin cognitif est une conséquence inévitable du vieillissement. Cependant, certaines personnes âgées semblent échapper à la règle. Elles continuent d’acquérir beaucoup de nouvelles informations, de gérer des situations complexes et même de montrer une créativité accrue à un âge avancé. Surnommées SuperAgers, ces personnes exceptionnelles présentent des performances de mémoire qui équivalent à celles d’individus âgés d’au moins trois décennies de moins.

Les chercheurs de l’Université Northwestern, aux États-Unis, étudient ces personnes depuis 25 ans pour tenter de comprendre pourquoi leur cerveau semble ne pas subir les effets du vieillissement. Ils ont découvert des caractéristiques biologiques uniques qui pourraient expliquer leur résistance au déclin cognitif.

« Nos résultats montrent qu’une mémoire exceptionnelle à un âge avancé est non seulement possible, mais qu’elle est liée à un profil neurobiologique particulier », explique dans un communiqué, Sandra Weintraub, professeur de psychiatrie et de sciences du comportement et de neurologie à la Feinberg School of Medicine de l’Université Northwestern. « Cela ouvre la voie à de nouvelles interventions visant à préserver la santé cérébrale jusqu’à un âge avancé », indique l’experte.

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Les participants à l’étude SuperAging de l’Université Northwestern se sont réunis le 24 mai 2013 pour discuter et socialiser. © Ben Kesling/Wall Street Journal

La sociabilité : un trait commun des SuperAgers

Le terme SuperAger a été inventé à la fin des années 1990 par Marsel Mesulam, le fondateur du Mesulam Center for Cognitive Neurology and Alzheimer’s Disease de l’Université Northwestern, à l’origine du programme SuperAging. Le programme a été créé à la suite de la découverte fortuite d’une patiente de 81 ans qui ne présentait aucun signe de déficience fonctionnelle cérébrale et qui obtenait des scores de mémoire très élevés pour son âge.

En effectuant l’analyse post-mortem de son cerveau, les chercheurs du Northwestern ont été surpris de constater qu’il ne présentait qu’un seul enchevêtrement neurofibrillaire dans une section hémisphérique complète du cortex entorhinal, une situation rare à cet âge, même chez les personnes sans anomalie cognitive connue. Depuis 2000, 290 personnes se sont inscrites au programme SuperAging et 77 dons de cerveaux post-mortem ont pu être analysés. Les participants sont évalués chaque année et peuvent choisir de faire don de leur cerveau pour une analyse post-mortem.

« De nombreuses conclusions de cette étude proviennent de l’examen d’échantillons de cerveaux de SuperAgers généreux et dévoués qui ont été suivis pendant des décennies », a déclaré Tamar Gefen, co-auteur de la nouvelle étude et professeur associé de psychiatrie et de sciences du comportement à Feinberg et directeur du laboratoire de neuropsychologie translationnelle de Feinberg et neuropsychologue au Mesulam Center.

Les résultats – publiés dans la revue Alzheimer’s & Dementia – révèlent que la sociabilité constitue un trait commun entre les SuperAgers, malgré des modes de vie diversifiés et des approches variées quant aux exercices qu’ils effectuent. Ils obtiennent au moins un score de 9 sur 15 à un test de mémoire standard, ce qui est équivalent à ceux d’individus dans la cinquantaine ou la soixantaine.

Une résistance et une résilience aux processus neurodégénératifs

Mais si les chercheurs ont constaté des différences notables dans le mode de vie et la personnalité des SuperAgers, « c’est vraiment ce que nous avons découvert dans leur cerveau qui a été si bouleversant pour nous », indique Weintraub. En effet, certains des cerveaux autopsiés contenaient des agrégats de protéines tau et amyloïdes, connues pour leur implication dans la progression des maladies neurodégénératives comme Alzheimer. Cependant, d’autres n’en contenaient pas du tout.

Les experts en ont déduit qu’il existe deux mécanismes par lesquels certaines personnes deviennent des SuperAgers. Le premier consiste en une résistance, notamment pour celles qui ne produisent pas du tout de protéines toxiques, tandis que le deuxième consiste en une résilience, où les personnes en produisent mais n’y sont pas affectées.

Les chercheurs ont également constaté que les SuperAgers avaient globalement une structure cérébrale plus jeune. Contrairement aux cerveaux vieillissants normaux, leurs cerveaux ne présentent pas d’amincissement significatif du cortex, une région essentielle au traitement des informations liées à la prise de décision, aux émotions et à la motivation. Ils possèdent même un cortex cingulaire antérieur (impliqué dans la perception de la douleur, le traitement des récompenses, la surveillance des actions et la détection des erreurs) plus épais que ceux des jeunes adultes.

Par ailleurs, leurs cerveaux présentaient des caractéristiques cellulaires uniques. Ils comportent plus de neurones de von Economo, des neurones spécialisés dans les comportements sociaux. Ils comportent également des neurones entorhinaux (essentiels à la mémorisation) plus volumineux que ceux de leurs pairs typiques. Les experts espèrent que ces données pourraient contribuer au développement de stratégies visant à promouvoir la résilience cognitive et à prévenir les maladies neurodégénératives.

Vidéo de présentation de l’étude :

Source : Alzheimer’s & Dementia
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