Des études suggèrent qu’il existe une organisation neuronale commune (indépendante de la langue) pour représenter des concepts abstraits. Afin d’étudier le rôle possible de la langue sur cette représentation, des chercheurs de l’université Carnegie Mellon (Pennsylvanie) ont utilisé des données d’imagerie cérébrale pour comparer les représentations neurales de 28 concepts abstraits individuels entre des participants anglais et mandarins.
Les concepts concrets (par exemple un fruit) sont facilement identifiables par leurs propriétés physiques et perceptives communes à tout le monde. La représentation des concepts abstraits — tels que la vérité, l’intimidation ou encore le principe physique de gravité — est plus difficile à identifier. Par le passé, les chercheurs de l’université Carnegie Mellon avaient déjà exploré les régions du cerveau où se matérialisent les concepts concrets et abstraits. En scannant le cerveau à l’aide d’un appareil d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), ces régions s’illuminent selon le concept présenté, et il se trouve qu’entre les locuteurs d’une même langue, les zones neurales activées sont similaires.
Jusqu’à présent, l’étude de la similarité entre les langues n’avait pas encore été mesurée. Des théories suggèrent que la représentation du temps, par exemple, dépend de la culture et de la langue, alors que d’autres estiment qu’il existe des modèles d’activation neuronale dans le cerveau culturellement invariants pour les concepts. La particularité des concepts abstraits est que leur acquisition nécessite un apprentissage particulier, basé sur des connaissances conceptuelles existantes.
« Nous voulions examiner les différentes langues pour voir si nos antécédents culturels influent sur la façon dont nous comprenons, dont nous percevons des idées abstraites comme la justice », a déclaré dans un communiqué Roberto Vargas, candidat au doctorat en psychologie au Dietrich College of Humanities and Social Sciences et auteur principal de la nouvelle étude. Il s’agit de l’une des premières études à aller dans ce sens, tout en fournissant un cadre pour identifier les différences spécifiques à la langue dans la signification des concepts abstraits individuels.
« Les cultures et les langues peuvent nous donner une perspective particulière du monde, mais nos classeurs mentaux sont tous très similaires »
Pour ce faire, les chercheurs ont exploré les zones du cerveau activées pour des concepts abstraits basés sur le langage. Sept participants dont la langue maternelle est le mandarin (âgés de 18 à 26 ans) et neuf anglophones (âgés de 20 à 38 ans) ont participé à une session d’IRMf de 45 minutes. Les deux groupes linguistiques ont reçu les mêmes stimuli, constitués de 28 mots faisant référence à des concepts abstraits répartis en sept catégories : social, émotion, métaphysique, droit, religiosité, mathématiques et science. Ces catégories n’ont jamais été mentionnées aux participants. Pour chaque concept, les participants disposaient de trois secondes pour le visualiser dans l’appareil d’IRMf, et entre chaque stimulus ils devaient vider leur esprit en regardant une ellipse bleue rétrécie pendant sept secondes.
« Les recherches du laboratoire progressent pour étudier les universalités non seulement des représentations de concepts uniques, mais aussi des représentations de corpus de connaissances plus vastes, comme les connaissances scientifiques et techniques », a déclaré Marcel Just, professeur de psychologie à l’université D.O. Hebb et deuxième auteur de l’étude. « Les cultures et les langues peuvent nous donner une perspective particulière du monde, mais nos classeurs mentaux sont tous très similaires ». Ainsi, certains concepts basés sur les sciences sont plus universels, et ceux liés aux émotions et à la société peuvent également présenter une base commune.
Un travail à poursuivre dans un contexte sociologique ou culturel
Toutefois, la façon dont les participants utiliseraient ces outils varierait selon la culture, le sens du mot et l’individu, d’après les auteurs. « Nous avons évolué avec des cerveaux similaires qui remplissent des fonctions spécifiques », a ajouté Vergas. « C’est comme les muscles dans le corps. Si vous exercez une profession qui implique une interaction sociale, la partie de votre cerveau qui traite les informations sociales sera davantage activée et connectée de manière plus diversifiée dans le cerveau ».
En raison de la très faible taille des échantillons et de la comparaison de seulement deux langues, la conclusion de l’étude ne peut être que partielle. Vargas poursuivra ce travail en se concentrant sur la manière dont les concepts abstraits se manifestent dans un contexte sociologique ou culturel. Dans un premier projet, il examinera comment l’identité sociale affecte les décisions en matière de récompense et de punition. Dans un second, il analysera la façon dont les gens pensent aux concepts liés à notre environnement sociétal, tels que la police et les soins de santé, et comment ces concepts diffèrent selon les groupes raciaux.