Des scientifiques ont identifié une mutation génétique mystérieuse qui annule la sensation de douleur, permettant aux personnes atteintes de l’anomalie rare, de persévérer sans effort lors de situations d’inconfort physique extrêmes.
La variante génétique, identifiée chez une famille italienne qui ne ressent presque aucune douleur même lorsqu’elle est gravement blessée, pourrait aider les scientifiques à créer de nouveaux traitements pour les douleurs chroniques. « Nous avons passé plusieurs années à essayer d’identifier le gène qui en est la cause », a déclaré le biologiste moléculaire James Cox de l’University College London en Angleterre. « Ce trouble particulier pourrait bien être le cas d’une seule famille », a-t-il ajouté.
Et cette famille, les Marsili, vaquent à leurs occupations quotidiennes avec quelque chose qui pourrait s’apparenter à de vrais superpouvoirs, grâce à une mutation génétique ponctuelle rare qui s’étend sur au moins trois générations. Cette mutation signifie qu’ils ressentent peu ou pas de douleur, et cela est par exemple le cas pour les brûlures ou lors de fractures d’os, au point où ils ne réalisent pas toujours qu’ils ont été blessés.
« Parfois, ils ressentent de la douleur dans la phase initiale, mais elle disparaît très rapidement », a déclaré Cox. « Par exemple, Letizia (52 ans) s’est cassée l’épaule en faisant du ski, mais a ensuite continué à skier durant toute la journée puis est rentrée à la maison. Elle ne l’a faite vérifier que le jour suivant », a-t-il ajouté.
Cette mutation partagée par la famille a été isolée dans leur ADN, à partir d’échantillons de sang, et celle-ci concerne un gène appelé ZFHX2. Bien que le fonctionnement de la mutation ne soit pas totalement clair, l’équipe de recherche émet l’hypothèse que la variante perturbe la régulation par ZFHX2 d’autres gènes liés au signalement de la douleur.
Cette perturbation donne alors aux Marsili ce que l’on appelle l’insensibilité congénitale à la douleur, mais leur phénotype est si remarquable que les chercheurs ont nommé un sous-type entier de la maladie, soit le « syndrome de Marsili », d’après le nom de la famille.
Bien entendu, cette « bénédiction » peut également être une malédiction, car l’incapacité d’interpréter avec précision ce que la douleur représente peut signifier qu’ils ne sont pas conscients des blessures graves qui pourraient nécessiter des soins médicaux importants.
Par exemple, le fils de Letizia Marsili, Ludovico (24 ans) joue au football, et la mutation « masque » les blessures subies en pratiquant le sport. « Il reste rarement au sol, même lorsqu’il est renversé. Cependant, il souffre de fragilité aux chevilles et il subit souvent des distorsions, qui aboutissent souvent en de micro-fractures. En réalité, les rayons X ont montré qu’il possède beaucoup de micro-fractures dans les deux chevilles », a déclaré Letizia Marsili. D’autres membres de la famille ont connu des problèmes similaires, notamment la mère de Letizia, âgée de 78 ans, qui s’est vue diagnostiquer des fractures bien plus tardivement, ce qui signifie que bien que les os se ressoudent naturellement, ils ne guérissent pas correctement.
La mutation affecte également leur capacité à détecter les températures extrêmes, ce qui augmente leur risque de se brûler ou de ne pas ressentir certains éléments comme par exemple de l’eau glacée.
Malgré les risques réels que cela impose, la famille semble reconnaissante de ne pas avoir à faire à la douleur, qui est une source de souffrance pour tant d’autres. « Au jour le jour, nous menons une vie très normale, peut-être meilleure que le reste de la population, car nous sommes rarement malades et nous ne ressentons presque aucune douleur », a déclaré Letizia. « En vérité, nous ressentons de la douleur, la perception de la douleur, mais cela ne dure que quelques secondes », ajoute-t-elle.
Une fois que les chercheurs ont isolé la mutation ZFHX2 au moyen du séquençage de l’exome, l’équipe a utilisé des expériences animales pour voir comment la variante affecte le traitement de la douleur chez la souris. Les animaux traités pour ne pas posséder le gène (du tout) démontraient une sensibilité fortement réduite à la douleur, mais étaient encore réceptifs aux températures élevées.
Lorsque d’autres souris ont été sélectionnées pour posséder la mutation ZFHX2, elles présentaient la même faible sensibilité aux températures élevées que la famille Marsili, ce qui, espère l’équipe, pourrait fournir de nouvelles orientations de traitements pour des millions de personnes souffrant quotidiennement de douleurs chroniques. « En identifiant cette mutation et en clarifiant qu’elle contribue à l’insensibilité à la douleur chez cette famille, nous avons ouvert une toute nouvelle voie à la découverte de médicaments pour soulager la douleur », explique l’une des chercheuses, Anna Maria Aloisi de l’Université de Sienne en Italie.
À présent, les chercheurs devront effectuer des recherches supplémentaires afin de définir de manière précise comment la mutation impacte l’insensibilité à la douleur et déterminer si d’autres gènes sont impliqués dans ce processus. Il reste encore beaucoup à apprendre sur la manière dont ZFHX2 est impliqué dans la signalisation de la douleur au cerveau.
L’un des chercheurs, le neurobiologiste sensoriel John Wood, de l’University College London, affirme que la famille n’a pas l’intention de renoncer à son existence sans douleur si les scientifiques devaient un jour trouver un moyen d’inverser la situation : « Je leur ai demandé s’ils souhaitaient ressentir la douleur de manière normale. Et ils ont répondu « non » ».