« La musique n’est plus ce qu’elle était », peut-on souvent entendre… et une étude vient de le confirmer ! Avec le temps, les paroles des chansons se sont appauvries, devenant de plus en plus simples, répétitives et impliquant davantage la colère et l’introspection. Pour parvenir à ce constat, une équipe de chercheurs autrichiens a analysé les textes de 12 000 chansons anglophones appartenant à différents genres musicaux (country, hip-hop, pop, blues, rock et R&B) publiées entre 1980 et 2020.
Eva Zangerle, qui a dirigé l’étude, se consacre depuis quelques années, avec son équipe, à l’étude des systèmes de recommandation musicale à l’Université d’Innsbruck en Autriche. Elle a récemment décidé de réaliser une étude visant à analyser de plus près l’évolution du vocabulaire musical des chansons modernes. « Pour notre analyse, nous avons créé une base de données contenant 353 320 chansons en langue anglaise dont les années de sortie couvrent cinq décennies, de 1970 à 2020 », rapportent Zangerle et ses collègues dans un article du Guardian. Cependant, comme les données des morceaux les plus anciens n’étaient pas assez fournies, l’équipe s’est focalisée sur 12 000 chansons sorties entre 1980 et 2020, afin de garantir un échantillon plus équilibré.
Au cours de leur étude, les chercheurs autrichiens se sont concentrés sur plusieurs aspects, notamment la diversité des accords, le nombre de lignes répétées, les mélodies et les paroles. Résultat : au cours des dernières décennies, ils ont constaté une diminution importante de la complexité des paroles et de la variété du vocabulaire musical utilisé.
Selon Zangerle, l’étude a mis en exergue la présence d’une plus grande quantité de refrains dans les chansons actuelles et une variété inférieure dans les rimes. « Nous avons été témoins, depuis 40 ans, d’un changement drastique dans le paysage musical, de la façon dont la musique est produite à celle dont elle est vendue », déclare-t-elle. « Dans tous les genres musicaux, nous avons trouvé une tendance à la simplification et la répétition », poursuit-elle. Les paroles sont effectivement devenues plus simples à comprendre et à retenir, même dans des styles tels que le rap et le rock.
Colère, tristesse et dégoût… des émotions qui reflètent la société ?
En plus des paroles, de la mélodie et de la diversité des accords, Zangerle et ses collègues ont aussi évalué les émotions exprimées dans les chansons examinées. L’équipe est arrivée à la conclusion que les thèmes positifs et joyeux diminuent constamment. En revanche, les chansons qui expriment la colère, la tristesse et le dégoût sont toujours plus fréquentes. Les chanteurs ont également un penchant pour l’introspection. Ils utilisent notamment davantage le « je » et le « moi », au lieu du « nous », d’après les résultats.
Toujours selon Zangerle, c’est dans le hip-hop/rap que le nombre de répétitions de répliques a le plus augmenté. La chercheuse rajoute également que l’utilisation de mots à charge émotionnelle négative s’est amplifiée dans ce genre musical. « Le rap est devenu plus colérique que les autres genres musicaux », affirme-t-elle. La raison de ce changement crucial pourrait être liée à la société elle-même. En effet, d’après ce que révèle l’étude, les paroles des chansons peuvent servir de « miroir à la société », étant donné qu’elles reflètent souvent les changements au niveau des valeurs, des émotions et des préoccupations globales.
À partir des données collectées sur le site Genius, les chercheurs ont également étudié les chansons recherchées par des fans de différents genres musicaux. Suite à cette analyse, ils ont pu remarquer que les amateurs de rock sont plus intéressés par les chansons anciennes plutôt que par les plus récentes. Auprès des auditeurs, un changement notable a également été constaté. « Les 10 ou 15 premières secondes sont devenues décisives pour écouter ou zapper une chanson », indique Zangerle.
L’industrie musicale elle-même a aussi un rôle à jouer dans ce changement. D’ailleurs, les producteurs et les maisons de disque tendent à privilégier les chansons qui ont un potentiel élevé d’accrocher rapidement l’auditeur. Et d’après les auteurs de l’étude, récemment publiée dans la revue Nature Scientific Reports, les auditeurs apprécient davantage les morceaux aux refrains répétitifs et nombreux et avec des chœurs aux paroles simples. « On se souvient plus facilement de ces paroles, tout simplement parce qu’elles sont plus faciles à mémoriser », conclut Zangerle.