Le chant des baleines est reconnu depuis longtemps par la communauté scientifique comme faisant partie de la culture des cétacés, définissant des groupes distincts d’individus. Récemment, une équipe de chercheurs a révélé que les chants créés par les baleines à bosse dans certaines parties de l’océan Pacifique, près de l’Australie, sont imités par les baleines près de l’Équateur, en à peine quelques années. Cette découverte de partage culturel aidera à comprendre les mécanismes sous-jacents à l’apprentissage de ces chants et l’évolution de la communication.
Les baleines à bosse sont des cétacés pouvant mesurer une quinzaine de mètres pour une trentaine de tonnes. Elles sont un sujet d’étude de prédilection en raison de leurs chants complexes et variant d’années en années, mais aussi de leur longue migration à travers l’Océan Pacifique. En été, elles s’alimentent dans des zones proches des pôles pour ensuite venir se reproduire, en hiver, dans des zones tempérées.
Chez la baleine à bosse, ce sont les mâles qui chantent de manière très stéréotypée, répétitive et évolutive. Les femelles et les baleineaux ont des chants beaucoup plus courts et moins complexes, qui constituent les chants sociaux.
Arborez un message climatique percutant 🌍
En effet, le chant des mâles est organisé selon une hiérarchie. Au premier niveau, chaque vocalisation (définie comme le son continu le plus court) est appelée une « unité ». Plusieurs unités combinées forment une chaîne d’unités appelée « phrase ». Plusieurs phrases répétées créent un « thème », et plusieurs thèmes chantés dans un ordre spécifique forment une « chanson », qui dure généralement entre 5 et 30 minutes. Les chansons répétées sont appelées des « sessions de chansons » qui peuvent s’étendre sur plusieurs heures.
Sans compter que ces chants évoluent chaque année. Ils sont produits principalement dans les aires de reproduction, mais également sur les routes migratoires. La fonction du chant reste contestée, même si certains scientifiques pensent qu’il joue un rôle important dans le succès reproducteur des mâles.
Il faut savoir que dans la région du Pacifique Sud, les changements dans le chant des baleines à bosse peuvent se produire de deux manières : évolution culturelle progressive et « révolution » culturelle. Cette dernière décrit le remplacement rapide d’un type de chanson par un type entièrement nouveau introduit par une population voisine, bien que le ou les mécanismes sous-jacents à l’origine de ce phénomène restent insaisissables. Ces chants semblent se propager dans un schéma unidirectionnel depuis l’est de l’Australie jusqu’à la Polynésie française.
Face à cette connectivité vocale des populations distantes de baleines à bosse, les scientifiques veulent savoir jusqu’où un chant peut être transmis vers l’est. Récemment, une équipe de chercheurs composée de membres de l’Université de St Andrews, de l’Université de San Francisco de Quito et du programme d’écologie acoustique du projet CETACEA Equateur, a découvert que les chants créés par les baleines à bosse au large de l’est de l’Australie sont imités par les baleines au large de l’Équateur, à près de 8000 km de distance. Leurs travaux sont publiés dans la revue Royal Society Open Science.
Des chants se propageant sur les routes migratoires
Cette étude fait suite à la découverte en 2019, par la même équipe de l’Université de St Andrew, révélant que les baleines à bosse peuvent apprendre de nouvelles chansons tout en naviguant sur une route migratoire partagée.
Ainsi, il a été suggéré qu’un emplacement dans l’ouest du Pacifique Sud, les îles Kermadec, ait servi d’escale aux baleines à bosse de plusieurs populations au cours de leur migration vers le sud. Des similitudes dans les thèmes des chants ont lié les îles Kermadec à plusieurs aires d’hivernage et ont fourni les premières indications sur l’endroit où la transmission culturelle entre des populations autrement isolées acoustiquement sur les aires de reproduction hivernale peut avoir lieu.
On savait déjà que les chants des baleines sont transmis vers l’est à travers l’océan Pacifique Sud, voyageant à travers les populations reproductrices de l’Australie à la Polynésie française dans une série de « révolutions » s’étalant sur seulement trois ans, passant par vagues à travers l’océan. L’étude de 2019 révèle que la convergence migratoire semble faciliter l’apprentissage du chant des baleines ainsi que la transmission des chants vers l’est, et potentiellement la convergence culturelle.
La Dr Ellen Garland de l’Université de St Andrews, déclarait dans un communiqué : « Les baleines à bosse mâles exécutent des parades de chants complexes et culturellement transmises. Nos recherches ont révélé que les schémas de migration des baleines à bosse semblent inscrits dans leurs chants. Nous avons trouvé des similitudes entre les chants des îles Kermadec et les chants de plusieurs lieux d’hivernage ».
Un partage culturel à travers tout le Pacifique Sud
La présente étude apporte la première preuve de la transmission culturelle vers l’est des chants de la population reproductrice du centre du Pacifique Sud de la Polynésie française jusqu’à la population reproductrice de l’est du Pacifique Sud de l’Équateur.
Concrètement, l’équipe a enregistré des chants de baleines à bosse à l’aide d’un enregistreur autonome SoundTrap au cours des années 2016 à 2018, sur divers sites autour du Pacifique. Ils ont ensuite effectué deux analyses de similarité, des calculs qui mesurent à quel point deux chants se ressemblent, sur les différents sons produits par les baleines dans les deux régions.
Ils ont alors découvert que les deux groupes (l’un en Polynésie française, l’autre près de l’Équateur) possédaient leurs propres chants de 2016 à 2017, tandis qu’en 2018, ils ont été enregistrés en train de produire le même chant, plus précisément trois thèmes étaient partagés entre les populations.
Étonnamment, cela démontre que les baleines à bosse sont connectées vocalement à travers le Pacifique. La transmission des chants entre la Polynésie française et l’Équateur est probablement facilitée sur les aires d’alimentation qui se chevauchent autour de la péninsule antarctique occidentale. Cette étude élargit la compréhension de l’étendue de la transmission culturelle parmi les populations de baleines à bosse dans le Pacifique Sud et contribue à démêler les mécanismes sous-jacents de l’apprentissage des chansons.
Néanmoins, d’autres études sont nécessaires pour confirmer si les révolutions des chants de baleines à bosse se sont régulièrement propagées de la Polynésie française à l’Équateur, et si oui, à quel intervalle. De plus, pour évaluer l’étendue de ce phénomène culturel, les futures études devraient déterminer si les chansons continuent de se transmettre vers l’est de l’Équateur (est du Pacifique Sud) au Brésil (ouest de l’Atlantique Sud), et au-delà autour de l’hémisphère sud.
En conclusion, les auteurs estiment que la compréhension de ce phénomène culturel fournira des perspectives comparatives précieuses sur l’évolution de la communication complexe, y compris l’évolution du langage et de la culture humaine. Comme pour les humains, les schémas de migration sont inscrits dans les chants des baleines à bosse.