La capacité d’information de l’Univers fait l’objet d’un grand débat depuis les années 1970 et continue de stimuler de multiples branches de la recherche en physique. Un chercheur de l’Université de Portsmouth a ainsi tenté d’évaluer la quantité exacte d’information codée dans toute la matière visible. Selon ses estimations, il y aurait environ 6 x 1080 bits d’information stockés dans l’ensemble des particules de matière de l’Univers observable.
Pour parvenir à ce nombre, Melvin M. Vopson a dérivé une formule estimant le nombre total de protons dans l’Univers observable — connu sous le nom de nombre d’Eddington — puis a estimé la quantité d’informations stockées par chaque particule elle-même. « Il y a eu diverses tentatives pour estimer le contenu informationnel de l’Univers, mais dans cet article, je décris une approche unique qui détermine en outre la quantité d’informations pouvant être compressée en une seule particule élémentaire », explique le physicien.
L’estimation de Vopson repose sur la théorie de l’information, définie par le mathématicien Claude Shannon en 1948, une théorie probabiliste qui vise à quantifier le contenu en information d’un ensemble de données, dont le codage informatique satisfait une distribution statistique précise. « C’est la première fois que cette approche est utilisée pour mesurer le contenu informationnel de l’Univers, et elle fournit une prédiction numérique claire », a déclaré Vopson.
L’information a une masse finie et quantifiable
Avec l’émergence des ordinateurs et des technologies numériques, le sujet de la physique de l’information est entré dans une nouvelle ère. En 1961, Rolf Landauer a proposé pour la première fois un lien entre la thermodynamique et l’information, démontrant que l’information numérique n’est pas seulement une entité mathématique abstraite, mais qu’elle est en fait physique. Depuis, plusieurs études ont montré comment l’information et la physique interagissent. Certains travaux de recherche ont même extrapolé la nature physique de l’information pour estimer sa masse.
Lors de ses précédentes recherches, Vopson a lui-même postulé que l’information est la cinquième forme de matière dominante dans l’Univers, avec le solide, le liquide, le gaz et le plasma. Dans un article publié en août 2020, il évoquait ainsi une « catastrophe de l’information » liée à notre production croissante et rapide d’informations : dans environ 350 ans, le nombre de bits produits dépassera le nombre de tous les atomes sur Terre. « Dans ce contexte, […] on pourrait envisager un monde futur essentiellement simulé par ordinateur et dominé par les bits numériques et le code informatique », écrivait-il.
Ces théories radicales sont basées sur le principe selon lequel l’information est physique ; elle est enregistrée par des systèmes physiques et tous les systèmes physiques peuvent l’enregistrer. Par conséquent, il existe nécessairement une quantité donnée d’informations stockées dans l’Univers. Comment et combien d’informations sont-elles stockées dans l’Univers ? C’est à cette question qu’a tenté de répondre Vopson dans sa nouvelle étude.
En raison du principe d’équivalence masse-énergie-information — selon lequel un morceau d’information n’est pas seulement physique, mais a une masse finie et quantifiable pendant qu’il stocke des informations — le chercheur postule que les informations ne peuvent être stockées que dans des particules stables et ayant une masse au repos non nulle, tandis que les bosons porteurs d’interaction/de force ne peuvent transférer des informations que via une forme d’onde. Ainsi, Vopson se focalise ici sur les particules de matière qui composent l’Univers observable, mais souligne dans son article que l’information pourrait également être stockée sous d’autres formes.
6,036 x 1080 bits d’information stockés dans l’Univers observable
Selon le modèle standard, il existe 30 particules et antiparticules élémentaires connues aujourd’hui. Ce sont six quarks et leurs antiparticules correspondantes, six leptons et leurs antiparticules correspondantes, cinq bosons vecteurs et un boson scalaire. De toutes ces particules, seule une fraction fait partie de l’Univers observable ; la plupart des autres particules ou antiparticules sont instables et ont des durées de vie extrêmement courtes — leur participation à l’Univers observable est négligeable et, par extrapolation, leur capacité à enregistrer des informations l’est également.
Chaque particule élémentaire est entièrement décrite par au moins trois degrés de liberté : masse, charge et spin. Comme l’explique Vopson, ces degrés de liberté sont intégrés à chaque particule élémentaire, comme une étiquette intrinsèque, une sorte d’« ADN particulaire » considéré comme le contenu informationnel stocké dans chaque particule sur elle-même, mesuré en bits.
Dans un premier temps, le chercheur ne retient pour son calcul que les protons, les neutrons et les électrons. Pour estimer le contenu informationnel stocké par chaque particule, il utilise le pourcentage d’abondance pondérale des éléments dans l’Univers — soit environ 75% d’hydrogène, 23% d’hélium et 2% d’éléments lourds. Il aboutit au nombre statistique total de constituants atomiques représentatifs de la matière dans l’Univers observable : 232,14 particules (protons, neutrons et électrons). Finalement, ses calculs indiquent que 1,288 bit d’information sont encodés par chaque particule.
Mais le physicien souligne que cette première estimation est en fait inexacte, car les protons et les neutrons ne sont pas des particules élémentaires et contiennent chacun trois quarks. En prenant en compte les quarks, Vopson conclut que chaque particule de l’Univers observable contiendrait 1,509 bit d’information. Restait à calculer le nombre de particules de l’Univers. Eddington a estimé que celui-ci contenait environ 1,57 x 1079 protons. Mais Vopson fournit ici une estimation plus précise : ses calculs évaluent à 4 x 1080 le nombre total de particules contenues dans l’Univers observable. Conclusion : 6,036 x 1080 bits d’information seraient stockés dans la matière visible.
Cette valeur est inférieure aux estimations précédentes, remarque le chercheur. Mais la différence réside sans doute dans le fait que la théorie de l’information fournit une compression d’information plus efficace. En outre, Vopson n’a pris en compte que certaines particules et leurs quarks ; l’Univers contient très probablement plus d’informations, stockées dans d’autres particules élémentaires ou d’autres supports non considérés ici.