La glace d’eau présente de nombreuses phases cristallines, ainsi que quelques structures amorphes — ces dernières sont très rares sur Terre, mais abondantes dans l’espace. Des chercheurs britanniques ont découvert un nouveau type de glace amorphe de densité moyenne, très proche de celle de l’eau liquide. Cette découverte pourrait avoir des conséquences considérables pour notre compréhension de l’eau liquide et de ses nombreuses anomalies.
C’est à l’aide d’un processus appelé broyage à billes que l’équipe a produit cette glace de densité et de structure inédites. La technique consiste à secouer vigoureusement de la glace ordinaire mélangée à des billes d’acier inoxydable, refroidie à très basse température (-200 °C) grâce à de l’azote liquide. Contre toute attente, les chercheurs ont obtenu non pas de petits fragments de glace ordinaire, mais une nouvelle forme de glace amorphe — caractérisée par une structure moléculaire désordonnée.
Bien qu’elle ressemble à de la glace, cette forme amorphe affichait quasiment la même densité que l’eau liquide (1,06 g/cm3). L’équipe l’a nommée « glace amorphe de densité moyenne » ou glace MDA (pour medium-density amorphous). « Nous connaissons 20 formes cristallines de glace, mais seuls deux principaux types de glace amorphe ont été découverts auparavant, connus sous le nom de glaces amorphes à haute densité et à faible densité », explique le professeur Christoph Salzmann, du Département de chimie de l’University College London et co-auteur de l’étude décrivant la découverte. La glace MDA se situe précisément entre ces deux niveaux de densité.
Des modèles de l’eau à revoir
Les glaces amorphes régissent une série de processus cosmologiques et sont potentiellement des matériaux clés pour expliquer les anomalies de l’eau liquide. Il se trouve en effet que l’eau présente certaines propriétés assez déconcertantes. Par exemple, elle se trouve à sa densité maximale à 4 °C et devient moins dense à l’état solide, lorsqu’elle gèle (ce qui explique pourquoi la glace flotte sur l’eau). En outre, plus la pression appliquée sur l’eau liquide est élevée, plus elle se comprime facilement — contrairement aux principes qui s’appliquent à la plupart des autres substances.
La glace amorphe à faible densité a été découverte dans les années 1930, lorsque des scientifiques ont condensé de la vapeur d’eau sur une surface métallique refroidie à -110 °C ; ce processus se produit naturellement dans l’espace, de sorte qu’il pourrait s’agir de la forme de glace la plus courante dans l’Univers. La glace amorphe à haute densité a été découverte dans les années 1980, lorsque de la glace ordinaire a été comprimée à très basse température (-200 °C environ).
L’écart de densité observé entre ces deux principaux types de glace amorphe est tel que jusqu’à présent, il était communément admis qu’il ne pouvait pas exister de glace entre ces deux extrêmes. Ainsi, les scientifiques pensaient qu’à des températures très froides, l’eau existait sous la forme de deux liquides, qui pouvaient coexister à une certaine température, l’un flottant au-dessus de l’autre (comme dans un mélange d’eau et d’huile par exemple).
Cette théorie, qui repose sur une simulation informatique, n’a toutefois jamais été prouvée par l’expérience. Le type de glace de densité intermédiaire obtenu à l’aide du broyeur à billes remet aujourd’hui en question cette idée. « Les modèles d’eau existants devraient être testés à nouveau », estime Salzmann, car ils doivent désormais prendre en compte l’existence de glace MDA.
Une présence probable sur les lunes glacées du système solaire
La glace nouvellement découverte, qui prend la forme d’une poudre granuleuse blanche, pourrait être le véritable état vitreux de l’eau liquide, autrement dit une réplique exacte de l’eau liquide sous forme solide — de la même manière que le verre est la forme solide du dioxyde de silicium liquide. Il se pourrait également que la glace MDA ne soit pas un état vitreux, mais un état cristallin fortement cisaillé.
En imitant la procédure de broyage à billes via un cisaillement aléatoire répété de glace cristalline, l’équipe a également créé un modèle informatique de glace MDA pour mieux comprendre son étrange structure atomique. Le modèle révèle que la glace se trouve initialement dans un état cristallin dans lequel les liaisons hydrogène forment un réseau hexagonal ; puis, le cisaillement induit par les billes d’acier provoque le déplacement de ces liaisons, dans un sens et dans l’autre, jusqu’à former un ensemble plus chaotique. « Notre découverte de glace MDA soulève de nombreuses questions sur la nature de l’eau liquide », souligne le Dr Michael Davies, qui a réalisé la modélisation informatique.
Salzmann et ses collaborateurs ont effectué diverses analyses (diffraction des rayons X, spectroscopie Raman, etc.) pour caractériser cette nouvelle glace amorphe. Ils ont découvert que, s’ils la comprimaient puis la réchauffaient à -120 °C, elle se recristallisait en libérant une quantité extraordinaire de chaleur. Ainsi, contrairement à d’autres glaces amorphes, la glace MDA semble avoir la capacité de stocker l’énergie mécanique (fournie par la compression) et de la libérer sous forme de chaleur.
Cela indique que l’eau peut être un matériau géophysique à haute énergie pouvant potentiellement être à l’origine des mouvements tectoniques et des « tremblements de glace » détectés dans la couche de glace de plusieurs kilomètres d’épaisseur des lunes telles que Ganymède. L’équipe pense en effet que la glace MDA pourrait exister à l’intérieur des lunes glacées du système solaire externe, car les forces de marée des géantes gazeuses telles que Jupiter et Saturne peuvent exercer sur la glace ordinaire des forces de cisaillement similaires à celles induites par le broyage à billes.
« L’un des éléments clés de ces lunes est de savoir si vous pouvez avoir une interface entre l’eau liquide et les roches – c’est là que la vie pourrait émerger. La glace amorphe pourrait avoir un rôle que nous devons comprendre », commente Marius Millot, physicien au Lawrence Livermore National Laboratory en Californie, qui n’a pas participé à ces recherches.