Pour satisfaire les besoins alimentaires à grande échelle, les industries agroalimentaires sont souvent contraintes d’adopter des solutions jugées parfois cruelles afin d’être rentables. Parmi ces mesures figure l’abattage des poussins mâles, ayant beaucoup moins de valeur commerciale que les femelles. Très répandue depuis plus de 50 ans, la pratique est pointée du doigt par les défenseurs des animaux et commence à faire l’objet de lois restrictives dans certains pays. Appuyant ces mesures tout en cherchant à préserver la rentabilité de l’industrie, des chercheurs ont mis au point une nouvelle technique d’édition génétique où seuls les embryons de poussins femelles arrivent à maturité et peuvent éclore. Soutenue par la Compassion in World Farming, cette technique pourrait empêcher l’abattage de milliards de poussins chaque année dans le monde.
Dans le cadre de la production de viande de poulet à l’échelle industrielle, des milliards de poussins mâles sont chaque année cruellement abattus quelques jours après leur éclosion, par asphyxie, broyage, gazage ou électrocution. Les mâles sont éliminés systématiquement, car ils n’ont que peu ou pas de valeur commerciale. Cette pratique existe depuis des décennies, mais n’a été découverte par le grand public qu’il y a environ une dizaine d’années.
Les éleveurs et industriels sont en effet souvent obligés d’adopter ce genre de mesures afin de produire à moindres coûts de la viande susceptible d’être abordable pour le plus grand nombre. En plus de ne pas produire d’œufs, les mâles consomment plus de nourriture que les femelles, pour produire la même quantité de viande. D’un point de vue financier, il n’est ainsi pas rentable d’élever des poussins mâles, à moins de les utiliser pour la reproduction.
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D’un autre côté, les méthodes de production durables et équitables coûtent plus et nécessitent des années d’investissements avant d’être rentables. Ainsi, si les produits certifiés équitables ou biologiques sont (parfois beaucoup) plus chers que la moyenne, c’est parce qu’en contrepartie ils doivent assurer une marge de rentabilité pour l’industriel, des revenus décents pour les producteurs (les agriculteurs et les fermiers), et financer des méthodes de production durables, des projets de développement communautaire, etc. Une production et un commerce « engagé » nécessitent ainsi un engagement constant (comme le terme l’indique), incluant de nombreuses personnes et beaucoup de ressources.
Cependant, les produits éthiques ne sont malheureusement pas à la portée de toutes les bourses. Plus de 800 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde et l’abattage massif de poulets peut être perçu comme très cruel et comme un immense gâchis. Mais pour produire à bas prix, les industries doivent adapter leurs coûts de production, quitte à rogner sur la qualité et éliminer tout ce qui ne rapporte pas assez.
Toutefois alertés par les mouvements de défenseurs des animaux et des écologistes, certains pays ont commencé à instaurer des lois interdisant l’abattage des poussins mâles à la naissance. D’autres adoptent des solutions alternatives, comme vendre les poussins mâles aux zoos pour nourrir d’autres animaux et éviter ainsi le gaspillage. De nouvelles techniques de « sexage » voient également le jour, permettant par exemple d’identifier le sexe des poussins au neuvième jour de couvaison et recycler les œufs mâles.
La nouvelle technique des chercheurs de l’Institut Volcani (en Israël) fait intervenir l’édition génétique afin de produire uniquement des poussins femelles. Bien que la technique n’ait pas été évaluée par des pairs (car les chercheurs visent une licence), l’on pourrait la juger potentiellement prometteuse, dans la mesure où elle est déjà approuvée par un organisme défenseur des animaux, le Compassion in World Farming. « Je suis très heureux que nous ayons développé un système qui, je pense, peut véritablement révolutionner l’industrie, d’abord pour le bénéfice des poulets, mais aussi pour nous tous, car c’est un problème qui concerne chaque personne sur la planète », estime Yuval Cinnamon, chercheur à l’Institut Volcani et scientifique en chef du nouveau projet.
Un chromosome réagissant à la lumière bleue
Dans le cadre de leurs recherches, les scientifiques israéliens ont créé une race de poule génétiquement modifiée qu’ils ont baptisée « poule Golda ». Le coq possède deux chromosomes Z, tandis que la poule possède une paire de chromosomes Z et W. Chez la Golda, le chromosome Z a été modifié de sorte à réagir à la lumière bleue quand l’allèle qu’il porte est « dominant ».
En s’accouplant avec un mâle (doté de deux chromosomes Z), une poule Golda (avec les chromosomes WZ*) produit des générations filles avec des paires de chromosomes Wz*, Zz, wZ* et zZ (le chromosome Z* étant celui modifié). L’accouplement de poulets portant les paires Wz* et Zz donne une génération WZ femelle, et l’accouplement de ceux portant les paires wZ* et zZ donne une génération de mâles Z*Z. L’embryon portant la paire de chromosomes WZ non modifiés n’est donc pas affecté par la lumière bleue et peut éclore, tandis que celui portant la paire Z*Z n’arrive pas à maturité en étant exposé à la lumière bleue.
À savoir que l’édition génétique sur les animaux est également plus tolérée que la modification nécessitant un ajout de gènes d’une autre espèce. De plus, les chercheurs israéliens affirment n’avoir observé aucune altération génétique chez les poussins femelles Golda, car il n’y aurait aucun gène ajouté. « Les agriculteurs auront les mêmes poussins qu’aujourd’hui et les consommateurs auront exactement les mêmes œufs qu’aujourd’hui », explique Cinnamon. « La seule différence mineure dans le processus de production est que les œufs seront exposés à la lumière bleue », ajoute-t-il. La prochaine étape de la recherche consistera à évaluer l’état de santé des poules et poussins nés de ce procédé.