Au cours des dernières décennies, la biologie synthétique a évolué au point de pouvoir produire aujourd’hui divers types d’organoïdes fonctionnels. Cependant, développer un embryon composé de plusieurs tissus formés à partir de cellules souches est d’une tout autre difficulté ; la multidifférenciation cellulaire étant hautement complexe à manipuler. Toutefois, une équipe de chercheurs est récemment parvenue à développer un embryon de souris quasi complet à partir de cellules souches. Une extraordinaire avancée qui pourrait bénéficier à de nombreuses branches du domaine biomédical.
Ce nouveau modèle, développé à la faculté de médecine de l’Université de Virginie par Christine et Bernard Thisse, est une avancée majeure dans les efforts des scientifiques pour imiter le développement naturel d’un mammifère en utilisant des cellules souches. Sa réalisation est une étape essentielle qui aidera les chercheurs à comprendre le développement des mammifères, à combattre les maladies, à créer de nouveaux médicaments et, éventuellement, à développer des tissus et des organes pour les personnes ayant besoin de greffes.
« Nous avons trouvé un moyen de demander aux agrégats de cellules souches d’initier le développement embryonnaire. En réponse à cette instruction contrôlée, les agrégats se développent en entités de type embryonnaire dans un processus qui récapitule les étapes embryonnaires une par une. Ce qui est étonnant, c’est que nous pouvons obtenir la variété de tissus qui sont présents dans un embryon de souris authentique », explique Christine Thisse, du département de biologie cellulaire de l’UVA.
La difficulté de développer une structure multi-tissulaire
Bernard Thisse, qui fait également partie du Département de biologie cellulaire, souligne l’importance de cette avancée : « Les organes humains sont constitués de plusieurs types de cellules qui proviennent de différentes parties de l’embryon en croissance. L’intestin, par exemple, est composé de cellules qui forment un tube creux. Des modèles de ce tube dans une boîte ont été réalisés et sont appelés organoïdes intestinaux ».
« Cependant, ce tube ne suffit pas à fabriquer un intestin fonctionnel, car cet organe contient d’autres composants, tels que les muscles lisses, les vaisseaux sanguins et les nerfs qui contrôlent le fonctionnement de l’intestin et qui sont fabriqués à partir de cellules d’origines différentes. La seule façon d’avoir toute la variété de cellules nécessaires à la formation d’organes fonctionnels est de développer des systèmes dans lesquels toutes les cellules précurseurs sont présentes. Les entités ressemblant à des embryons que nous avons conçues à l’aide de cellules souches fournissent exactement cela ».
Vidéo montrant un cœur battant de souris cultivé à partir de cellules souches :
Les cellules souches sont des cellules spéciales qui peuvent se transformer en d’autres types de cellules avec des fonctions spécifiques. Par exemple, les cellules souches se transforment en cœur, cerveau, os, nerfs. Les chercheurs ont donc décidé d’exploiter le potentiel des cellules souches et de les mettre au service de la recherche médicale. Mais la construction de modèles sophistiqués avec plusieurs types de cellules s’est avéré incroyablement difficile. Il est bien plus facile de diriger la formation d’un seul type cellulaire dans une boite de Pétri que de diriger l’orchestre nécessaire au développement d’un organisme comme dans la nature.
Un embryoïde correctement structuré
Le nouveau modèle des Thisse se distingue par sa sophistication. Il s’agit du premier modèle in vitro d’embryon de mammifère montrant autant de tissus obtenus à partir de cellules souches, rapportent les chercheurs. Plus important encore, ces structures sont organisées comme il se doit, autour de la notocorde (le précurseur de la colonne vertébrale), un trait caractéristique des animaux vertébrés. Dans ce modèle, différents types de cellules sont tissés ensemble de manière structurée.
Pour ce faire, les auteurs ont dû surmonter certains des plus grands défis dans le domaine des cellules souches. Les modèles précédents ne se développaient pas correctement, n’étaient pas organisés correctement ou étaient en proie à d’autres problèmes. En utilisant leur expertise en biologie du développement et en s’appuyant sur leurs travaux antérieurs utilisant des cellules d’embryons de poisson, les chercheurs ont résolu ces problèmes. Le résultat une souris en début de développement, dans une boîte, avec des cellules et des tissus correctement organisés.
La notocorde est présente et prise en compte ; le tube digestif commence à se développer ; le cœur bat ; et, pour la première fois in vitro, un système nerveux se développe avec la formation d’un tube neural. « Ce modèle de souris in vitro montre que nous sommes capables d’inciter les cellules à exécuter des programmes de développement complexes dans la bonne succession d’étapes. Avoir toute la variété de tissus fabriqués nous permet d’espérer que la communauté scientifique sera capable de construire des organes avec une bonne vascularisation, l’innervation et les interactions avec d’autres tissus », déclare Christine Thisse.
Vers le développement d’embryons complets
Cette avancée est essentielle pour pouvoir un jour produire des organes de remplacement humains fonctionnels. Cela permettrait de pallier la pénurie d’organes pour les greffes. Le nouveau modèle n’est pas encore une souris complète et ne peut pas en devenir une. Des pièces clés manquent encore, comme la partie antérieure du cerveau. Pour l’instant, le développement des embryoïdes s’arrête à un moment correspondant à la période moyenne de gestation d’un embryon de souris.
La véritable réussite des chercheurs est de développer une approche efficace pour créer des structures sophistiquées de type embryonnaire, imitant le développement d’un embryon de souris. Cela fait considérablement progresser leur domaine et donne aux scientifiques un contrôle plus personnalisé sur les cellules souches.
« Les embryoïdes que nous produisons actuellement manquent des domaines cérébraux antérieurs. Cependant, avec les techniques que nous avons développées, nous devrions être capables, à un moment donné, de manipuler les signaux moléculaires qui contrôlent la formation des embryons, et cela devrait conduire à générer des entités de type embryonnaire contenant tous les tissus et organes, y compris le cerveau antérieur », conclut Bernard Thisse.