Après des décennies de recherche, il est avéré que les facteurs psychosociaux influent sur la santé, en particulier sur la santé cardiovasculaire. Les états émotionnels négatifs (la dépression, la colère ou l’anxiété), les facteurs de stress et les conflits sociaux ont été significativement associés à un risque accru de morbidité et de mortalité cardiovasculaires. Une équipe du Technion (l’Institut de technologie d’Israël) confirme aujourd’hui ce lien étroit, en montrant comment le cerveau peut influencer la guérison du cœur.
Les maladies cardiovasculaires sont la principale cause de décès et d’invalidité dans la plupart des pays. Les causes traditionnellement évoquées sont l’hypertension, l’hypercholestérolémie, le diabète ou encore le tabagisme. Ces causes ne peuvent néanmoins expliquer à elles seules l’incidence élevée de ces maladies. En 2005, une étude suggérait que plusieurs caractéristiques psychologiques et sociales ont des effets physiopathologiques directs : des émotions négatives, un stress chronique et certains facteurs sociaux sont eux aussi étroitement liés aux maladies cardiovasculaires.
À titre d’exemple, une affection connue sous le nom de « syndrome du cœur brisé » — qui résulte d’un événement extrêmement stressant — peut entraîner les symptômes d’une véritable crise cardiaque, précise un article de Nature. À l’inverse, plusieurs études ont suggéré qu’un état d’esprit positif peut conduire à de meilleurs résultats chez les personnes atteintes de maladies cardiovasculaires. Les mécanismes qui sous-tendent cette relation entre cœur et cerveau restent cependant insaisissables.
Vers de nouveaux traitements basés sur le pouvoir de l’esprit
Hedva Haykin, doctorante au Technion, et ses superviseurs — Asya Rolls, neuroimmunologiste, et Lior Gepstein, cardiologue — s’intéressent de près à la façon dont le cerveau peut guider la santé cardiovasculaire. Dans une expérience menée sur des modèles murins de crise cardiaque, ils ont constaté que les souris qui avaient bénéficié d’une stimulation de l’aire tegmentale ventrale — le centre de récompense du cerveau — présentaient des tissus cardiaques moins endommagés que ceux des souris non stimulées. Cela suggérait que les émotions positives favorisent la cicatrisation.
Les chercheurs en ont conclu que l’activation de la zone cérébrale liée aux émotions positives pouvait déclencher certains changements immunitaires qui contribuent à la réduction du tissu cicatriciel. Suite à cette expérience, ils vont déterminer si les voies de communication cerveau-cœur identifiées chez la souris sont également présentes chez les humains.
Leurs conclusions corroborent plusieurs études ultérieures ; en 2018, Rolls et son équipe de recherche avaient déjà montré que l’activation du système de récompense chez les souris porteuses de tumeurs entraînait une réduction significative du poids des tumeurs — suggérant qu’une sensation positive avait aidé leur organisme à combattre le cancer. Plusieurs autres études cliniques ont par ailleurs mis en évidence un lien entre l’état mental et la survie des patients atteints d’un cancer.
En résumé, notre état mental peut avoir un impact profond sur la façon dont nous tombons malades et sur la façon dont nous nous rétablissons. La professeure Rolls souligne qu’élucider les mécanismes sous-jacents au phénomène pourrait révéler de nouvelles voies de traitement basées sur le pouvoir de l’esprit. Cela pourrait permettre également de renforcer l’effet placebo — dont l’efficacité est parfois troublante. Enfin, comprendre comment le cerveau influe sur la santé permettrait de mieux prendre en charge les maladies dites psychosomatiques.
C’est pourquoi de nombreux scientifiques tentent aujourd’hui de cartographier précisément les interactions entre les systèmes immunitaire et nerveux.
Stimuler le cerveau pour moduler les réactions immunitaires
À la fin des années 1990, une équipe du North Shore University Hospital de Manhasset, à New York, a testé l’effet d’un médicament anti-inflammatoire sur l’inflammation cérébrale causée par un accident vasculaire cérébral. Testé sur des souris, le médicament en question s’est montré efficace. Mais lorsqu’ils l’ont injecté dans le cerveau de rongeurs présentant une inflammation globale de tout leur corps, les chercheurs ont constaté qu’il fonctionnait sur l’ensemble du corps (et non uniquement dans le cerveau).
Intrigués par ce résultat, ils ont entrepris de sectionner le nerf vague — un faisceau de quelque 100 000 fibres nerveuses qui relie le cerveau au cœur, aux poumons, au tractus gastro-intestinal et à d’autres organes majeurs. Résultat : l’effet anti-inflammatoire du médicament avait disparu, suggérant que le nerf vague joue un rôle majeur dans le contrôle des réponses immunitaires. Aujourd’hui, l’équipe teste l’efficacité d’un implant expérimental stimulant le nerf vague sur des maladies auto-immunes, telles que la maladie de Crohn, la sclérose en plaques et la polyarthrite rhumatoïde.
Plus récemment, une équipe de l’Université d’Harvard, dirigée par la neuroscientifique Catherine Dulac, a identifié la population de neurones qui contrôle les symptômes typiques d’une infection, tels que la fièvre, la recherche de chaleur, la perte d’appétit et la fatigue. Ils ont montré que l’activation de ces neurones, situés dans la zone préoptique médiale ventrale de l’hypothalamus, pouvait générer des symptômes de maladie même en l’absence d’agent pathogène. Reste à savoir si ces neurones peuvent être activés par des déclencheurs autres que des agents pathogènes…
Une étude de 2021, menée par Rolls et son équipe, a révélé par ailleurs que certains neurones (les neurones de l’insula) pouvaient stocker et récupérer des réponses immunitaires spécifiques, liées notamment à des épisodes passés d’inflammation intestinale ; la stimulation de ces neurones réactivait la réponse immunitaire correspondante. Mais ce mécanisme de défense pouvait potentiellement être initié même en l’absence du facteur déclencheur d’origine — ce qui expliquerait pourquoi certaines pathologies, telles que le syndrome du côlon irritable, peuvent être exacerbées par des états psychologiques négatifs.
À présent, la neuroimmunologiste et ses collaborateurs envisagent d’exploiter des technologies de stimulation cérébrale pour moduler le système immunitaire des personnes atteintes de cancer, de maladies auto-immunes ou d’autres conditions. Un autre groupe prévoit d’utiliser des outils de réalité virtuelle pour manipuler les niveaux de stress des patients et examiner la façon dont cela modifie leur réponse immunitaire.