Largement sous-estimée et très peu exploitée, l’encre de céphalopodes apporte certains bienfaits sur la santé. Un métabolite dérivé de l’encre de poulpe a récemment démontré l’un de ces avantages, des chercheurs lui ayant découvert de puissants effets anticancéreux. Tout en étant biocompatible, le composé ne causerait aucun dommage aux cellules saines, un atout considérable par rapport aux traitements actuels.
Faisant chaque année près de 18 millions de victimes, le cancer est la deuxième cause de décès dans le monde. Les formes les plus fréquentes sont le cancer du poumon, le cancer du sein, le cancer colorectal, le cancer de la prostate et de l’estomac. Alors que la prévalence de la maladie ne cesse de croître, les chercheurs soupçonnent que son apparition est étroitement corrélée à notre mode de vie et notre alimentation.
Dans une optique de prévention, les médecins et les nutritionnistes recommandent de consommer des aliments variés et riches en molécules bioactives, telles que les antioxydants. Dans la recherche thérapeutique, les composés anti-inflammatoires obtenus à partir de produits naturels constituent une approche toujours plus prometteuse. En parallèle, ces recommandations et stratégies permettent de revaloriser des produits alimentaires sous-exploités et de contribuer à une consommation à la fois saine et responsable.
Parmi ces produits figurent l’encre de seiche et de poulpe, extrêmement riches en nanoparticules actives. En effet, les métabolites produits par la faune et la flore marine possèdent un grand nombre de propriétés biologiques, largement explorées en médecine humaine. La nouvelle étude, parue dans la revue Science Direct, a mis en évidence les effets de l’ozopromide (OPC), un métabolite issu de l’encre de poulpe, sur les cellules cancéreuses.
Des traitements conventionnels avec de nombreux effets secondaires
Dans environ 25% des cas, la croissance tumorale est associée à des cascades de processus inflammatoires, dont on attribue environ 15% des décès liés au cancer. Au cours de ces processus, l’organisme du patient produit excessivement des molécules pro-inflammatoires telles que les cytokines et les chimiokines, l’oxyde nitrique synthase inductible (iNOS), les espèces réactives de l’oxygène (ROS), etc. Paradoxalement, l’ampleur de la réponse inflammatoire est liée à une amélioration de la survie, du fait de la reconnaissance et de l’élimination des cellules tumorales.
En outre, la plupart des traitements conventionnels contre le cancer (radiothérapie, chimiothérapie, immunothérapie) provoquent des réponses inflammatoires de grande ampleur. Malgré leur avantage pour arrêter la prolifération des cellules cancéreuses, ces alternatives affectent également les cellules saines. De ce fait, le pronostic de survie des patients se retrouve réduit, surtout à un stade avancé de la maladie.
Le nouveau composé, découvert par des chercheurs de l’Université de Sonora (au Mexique), freine à la fois la prolifération des cellules tumorales tout en préservant les cellules saines, en réduisant les réponses inflammatoires. Ce double effet constitue un atout considérable, en vue des effets secondaires et des chances de réussite réduites observés pour les traitements actuels. L’OPC fait partie d’une large gamme de composés bioactifs de l’encre de poulpe, découverte par les mêmes chercheurs lors d’une étude antérieure.
Un composé à double effet
Extrait de l’encre du poulpe commun (Octopus vulgaris), le métabolite a pu être recréé artificiellement en laboratoire pour être testé sur des cellules tumorales humaines. Les effets ont été évalués sur des échantillons de biopsies de cancer du sein, du col de l’utérus, de la prostate et du poumon.
Le composé a freiné la prolifération des cellules cancéreuses et a enclenché l’apoptose d’une grande partie d’entre elles. Cette capacité antiprolifique serait allée jusqu’à 50% au niveau des cellules pulmonaires. De façon étonnante, l’OPC n’a pas affecté les cellules saines avoisinant directement celles malades. En effet, la présence du composé a conduit à une réduction de la sécrétion de protéines proinflammatoires, ce qui a permis de préserver les cellules saines.
Ces résultats suggèrent que le métabolite agit de manière spécifique sur les processus moléculaires permettant aux cellules tumorales de détourner le métabolisme cellulaire normal et de se multiplier presque indéfiniment. Un autre avantage est que l’encre de céphalopode est hautement biocompatible et pourrait de ce fait constituer potentiellement des alternatives prometteuses, en étant combiné avec les stratégies actuelles.
Toutefois, des recherches plus approfondies seront nécessaires avant d’envisager une application clinique. Par ailleurs, la production de nanoparticules artificielles est très coûteuse, tandis que l’exploitation directe de l’animal pourrait soulever des questions d’éthique. Néanmoins, les résultats de ces recherches pourraient contribuer à une meilleure valorisation des produits de pêche, ainsi qu’à une sensibilisation à la consommation durable et à la réduction du gaspillage.