Des chercheurs décryptent les secrets de longévité d’une supercentenaire qui a vécu jusqu’à 117 ans

Des avantages génétiques spécifiques et un microbiote intestinal exceptionnellement jeune.

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Maria Branyas le jour de son 117e anniversaire. | Xavier Dengra
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Des chercheurs ont mené une analyse multiomique sur Maria Branyas Morera, une supercentenaire ayant vécu jusqu’à 117 ans, afin de percer les secrets de sa longévité. Ils ont mis en évidence des avantages génétiques spécifiques, associés chez d’autres espèces animales à une durée de vie exceptionnelle, ainsi que d’autres facteurs, notamment un microbiote intestinal remarquablement jeune pour son âge. Les biologistes espèrent décrypter les mécanismes de ces avantages dans l’espoir d’en faire bénéficier d’autres individus.

Née en mars 1907 à San Francisco, Maria Branyas Morera était la personne la plus âgée connue au monde (et dont l’âge est vérifié), atteignant 117 ans et 168 jours au moment de son décès, le 19 août 2024. Fille d’immigrés espagnols, elle s’était installée à l’âge de 8 ans dans la petite ville d’Olot, en Catalogne. Si les centenaires sont de plus en plus nombreux, les supercentenaires – ceux qui dépassent les 110 ans – restent rares.

La Catalogne est depuis longtemps réputée pour l’espérance de vie remarquable de ses habitants. L’espérance de vie moyenne des femmes y atteint 86 ans, soit environ trois ans de plus que la moyenne nationale. Les deux filles de Branyas Morera étaient elles-mêmes nonagénaires lorsqu’elle a franchi le cap des 110 ans.

Un groupe de recherche codirigé par l’Institut de recherche sur la leucémie Josep Carreras (IJC) a entrepris de comprendre les mécanismes biologiques à l’origine de cette longévité. « Nous voulions tirer des enseignements de ce cas particulier pour en faire bénéficier d’autres personnes », explique Manel Esteller, généticien à l’Université de Barcelone, coauteur d’un article publié dans la revue Nature.

Vieillir en bonne santé : une possibilité ?

Esteller et ses collègues ont recueilli, alors qu’elle était encore en vie, des échantillons de sang, de salive, d’urine et de selles. La supercentenaire avait accepté sans réserve de participer à l’étude. « C’était une personne très humble. Elle disait : « Mon seul mérite, c’est d’être en vie » », se souvient Esteller.

L’objectif consistait à établir une analyse multiomique complète de son organisme. Ce type d’approche englobe différents volets – génomique, microbiomique et métabolomique. Le profil ainsi obtenu a été comparé à celui de femmes d’âges variés vivant dans la même région, ainsi qu’à d’autres supercentenaires.

Les résultats, publiés dans la revue Cell Reports Medicine, montrent qu’il est possible de distinguer les transformations biologiques naturelles liées à l’âge de celles provoquées par un état pathologique. Autrement dit, certaines maladies ne sont pas une fatalité du vieillissement : il est possible de vieillir en bonne santé. Cette observation rejoint celle d’une étude récente sur les « SuperAgers » – ces personnes âgées dont les facultés mnésiques demeurent exceptionnelles –, qui démontre que le déclin cognitif n’est pas indissociable de l’avancée en âge.

En analysant l’ADN de Branyas Morera, l’équipe a constaté que ses télomères, ces « capuchons » protégeant l’extrémité des chromosomes, étaient exceptionnellement courts. Or, malgré des télomères courts – phénomène généralement associé aux maladies liées à l’âge –, Branyas Morera était en parfaite santé, hormis les signes habituels du vieillissement. « Cela nous indique que la perte de télomères n’est pas nécessairement associée à la maladie, mais simplement au vieillissement », souligne Esteller.

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Résumé graphique de l’étude. © Eloy Santos-Pujol et al.

« Elle a eu de la chance à la loterie génétique… »

Le séquençage de son génome a révélé la présence de mutations protectrices contre les maladies cardiovasculaires, le déclin cognitif et le diabète. Aucun variant associé à un risque accru de pathologies telles que la maladie d’Alzheimer n’a été détecté. Son génome comportait en revanche des variantes liées, chez d’autres animaux comme le chien, le ver ou la mouche, à une longévité hors norme.

Les analyses sanguines ont mis en évidence un faible taux de « mauvais » cholestérol, un taux élevé de « bon » cholestérol et un métabolisme lipidique particulièrement efficace. Ses marqueurs d’inflammation, qui augmentent généralement avec l’âge, demeuraient faibles, tandis que son système immunitaire se montrait étonnamment robuste. À 113 ans, lorsqu’elle a contracté la Covid-19, elle est ainsi devenue la personne la plus âgée du pays à avoir survécu à l’infection.

Selon les chercheurs, l’absence d’inflammation pourrait s’expliquer par la bonne santé de son microbiote intestinal, comparable à celui d’une personne beaucoup plus jeune. Celui-ci présentait notamment une forte proportion de Bifidobacterium, une bactérie bénéfique pour l’organisme.

Son état de santé global et l’équilibre de son microbiote semblent avoir été favorisés par son alimentation, comprenant trois portions quotidiennes de yaourt, ainsi que par l’adoption d’un régime méditerranéen, réputé pour ses bienfaits, et par une activité physique régulière.

« Elle a eu de la chance à la loterie génétique », estime Esteller. « Nos gènes sont comme les cartes d’une partie de poker. Mais c’est la façon dont nous les utilisons qui compte vraiment », insiste-t-il.

Il est toutefois important de noter qu’une telle étude, menée sur un seul individu, ne permet pas de généraliser. Ces résultats ouvrent néanmoins des perspectives nouvelles dans la compréhension du vieillissement et pourraient, à terme, inspirer des thérapies contre les maladies liées à l’âge. Cela pourrait aussi déboucher sur des stratégies de prévention axées sur l’hygiène de vie et l’alimentation.

Source : Cell Reports Medicine
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