Des chercheurs ont pu « voir » à l’intérieur de noyaux atomiques grâce à un nouveau type d’intrication quantique

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Le détecteur STAR du RHIC agit comme une caméra numérique 3D géante pour suivre les particules émergeant des collisions de particules. | Brookhaven National Laboratory
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Les physiciens du Laboratoire national de Brookhaven annoncent avoir réussi à cartographier très précisément la disposition des particules élémentaires situées au cœur des noyaux atomiques. Leurs travaux reposent sur une nouvelle façon d’utiliser le collisionneur d’ions lourds relativistes (RHIC) et sur un nouveau type d’intrication quantique jamais vu auparavant.

Un noyau atomique est constitué de protons et de neutrons, qui eux-mêmes sont constitués de particules élémentaires, des quarks, liés les uns aux autres par des gluons. Grâce à une série de fluctuations quantiques, les photons interagissent avec les gluons, créant une particule intermédiaire (un « rho ») qui se désintègre immédiatement en deux « pions » (ou méson pi) chargés, notés π+ et π-. La vitesse et les angles auxquels ces particules π+ et π- frappent le détecteur STAR du RHIC fournissent des informations qui permettent de cartographier très précisément l’arrangement des gluons dans le noyau.

« Cette technique est similaire à la façon dont les médecins utilisent la tomographie par émission de positons (TEP) pour voir ce qui se passe à l’intérieur du cerveau et d’autres parties du corps », explique James Daniel Brandenburg, membre de la collaboration STAR. La différence c’est qu’il s’agit ici de cartographier des caractéristiques à l’échelle des femtomètres (soit 10-15 mètres) ! Non seulement les chercheurs ont eu un aperçu exceptionnel de l’intérieur des atomes, mais ils ont également assisté à un tout nouveau type d’intrication entre les particules π+ et π-.

Une image 2D de la distribution des gluons

Le RHIC (Relativistic Heavy Ion Collider) est un accélérateur de particules dédié à l’étude des collisions entre ions lourds (cuivre, or, uranium, etc.) à des vitesses relativistes. Il a été essentiellement conçu pour étudier la forme primordiale de la matière (celle qui existait au tout début de l’Univers), mais il peut également produire des collisions entre protons pour explorer leur structure. Plusieurs détecteurs différents, dont le STAR, permettent d’enregistrer les résultats des collisions.

Pour étudier les particules élémentaires, les scientifiques font entrer en collision des noyaux d’atomes lourds, se déplaçant dans des directions opposées autour du collisionneur à une vitesse proche de celle de la lumière. L’intensité des collisions est telle qu’elle peut faire « fondre » les frontières entre les protons et les neutrons individuels, exposant ainsi leurs composants élémentaires : les quarks et les gluons.

Mais les physiciens nucléaires souhaitent également savoir comment les quarks et les gluons se comportent et s’organisent à l’intérieur des noyaux atomiques pour former les protons et les neutrons.

Or, des travaux récents de la collaboration STAR portant sur des collisions de photons polarisés ont suggéré un moyen d’utiliser ces particules de lumière pour avoir un aperçu de l’intérieur des noyaux. « Nous avons démontré que ces photons sont polarisés, leur champ électrique rayonnant vers l’extérieur à partir du centre de l’ion. Et maintenant, nous utilisons cet outil, la lumière polarisée, pour obtenir une image efficace des noyaux à haute énergie », explique Zhangbu Xu, physicien au Brookhaven Lab et membre de la collaboration STAR.

Jusqu’à présent, les scientifiques n’avaient aucun moyen de connaître la direction de polarisation des photons. Par conséquent, la densité de gluons mesurée était une moyenne, calculée en fonction de la distance du centre du noyau. Mais l’interférence quantique observée entre les particules π+ et π- permet de mesurer très précisément la direction de polarisation. Cela permet aux physiciens d’examiner la distribution des gluons dans deux dimensions : le long de la direction du mouvement du photon, mais aussi perpendiculairement à celle-ci.

La première intrication entre particules dissemblables

Alors que les anciennes mesures donnaient l’impression que le noyau était trop grand par rapport à ce qui avait été prédit par les modèles théoriques et les mesures de la distribution de charge dans le noyau, cette nouvelle imagerie 2D a permis d’éclairer ce mystère. Il se trouve que la quantité de mouvement et l’énergie des photons eux-mêmes se confondent avec celles des gluons. Ainsi, la mesure unidimensionnelle donnait nécessairement un résultat biaisé par l’effet des photons.

Concrètement, la somme des impulsions des deux pions fournit l’impulsion de leur particule rho parente, et d’autres informations qui incluent la distribution des gluons et l’effet de brouillage des photons. Pour en déduire la distribution des gluons, les scientifiques mesurent l’angle entre la trajectoire du π+ ou du π- et celle de la particule rho. Plus cet angle est proche de 90 °, moins l’effet photonique s’applique. En suivant les pions provenant de particules rho se déplaçant à différents angles et énergies, les scientifiques ont ainsi pu cartographier la distribution des gluons dans l’ensemble du noyau.

interférences fonctions d'onde pions
Plus l’angle (Φ) entre la trajectoire des π (en rose et bleu) et celle de la particule rho (en violet) est proche de 90°, plus la « vision » des scientifiques sur la distribution des gluons est claire. À mesure que chaque rho se désintègre, les fonctions d’onde des pions (+ et -) de chaque désintégration interfèrent et se renforcent mutuellement. © Brookhaven National Laboratory

« Maintenant, nous pouvons prendre une image où nous pouvons vraiment distinguer la densité des gluons à un angle et un rayon donnés. Les images sont si précises que nous pouvons même commencer à voir la différence entre l’endroit où se trouvent les protons et celui où sont disposés les neutrons à l’intérieur de ces gros noyaux », se réjouit Brandenburg. Et bien entendu, ces images correspondent davantage aux prédictions théoriques.

Mais ceci est possible uniquement grâce au fait que les particules π+ et π-, bien qu’elles soient de charge différente, sont intriquées. « Il s’agit de la toute première observation expérimentale d’une intrication entre des particules dissemblables », souligne le physicien.

Lorsque deux ions se frôlent sans entrer en collision, les photons qui les entourent interagissent avec les gluons : c’est alors comme si ces interactions généraient deux particules rho (une dans chaque noyau). À mesure que chaque particule rho se désintègre en π+ et π- , la fonction d’onde du pion négatif de l’une interfère avec la fonction d’onde du pion négatif de l’autre. Lorsque la fonction d’onde renforcée résultante frappe le détecteur STAR, celui-ci voit un π-. La même chose se produit avec les fonctions d’onde des deux π+.

« L’interférence se produit entre deux fonctions d’onde de particules identiques, mais sans l’intrication entre les deux particules dissemblables – les π+ et les π- – cette interférence ne se matérialiserait pas », explique Wangmei Zha, collaborateur STAR à l’Université des sciences et technologies de Chine. Si les deux particules n’étaient pas intriquées, les deux fonctions d’onde auraient une phase aléatoire et ne produiraient pas d’interférence ; par conséquent, les chercheurs ne pourraient pas déterminer la direction de polarisation des photons et donc, ne pourraient effectuer les mesures.

Les prochaines expérimentations réalisées au RHIC, ainsi qu’au collisionneur électron-ion actuellement en construction, seront l’occasion d’explorer plus en détail la distribution des gluons à l’intérieur des noyaux atomiques et de tester d’autres scénarios possibles d’interférence quantique.

Source : Collaboration STAR, Science Advances

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