Des chercheurs japonais ont réalisé avec succès le premier essai clinique de ventilation entérale, un procédé original consistant à administrer de l’oxygène par voie rectale. Si l’essai visait uniquement à évaluer l’innocuité du procédé, l’équipe espère à terme pouvoir utiliser la technique pour oxygéner le sang via le rectum et la paroi intestinale. Cela pourrait un jour fournir une alternative pour les patients souffrant de problèmes de voies respiratoires ou dans les soins néonataux.
L’apport d’oxygène en cas d’hypoxie (manque d’oxygène) est vital pour toutes les espèces animales. Quelques espèces ont évolué pour développer des compétences uniques leur permettant de survivre dans des milieux hypoxiques, notamment en acquérant des mécanismes respiratoires alternatifs par le biais d’organes autres que les poumons et les branchies.
Les loches (Misgumus anguillicandatus), les concombres de mer, les Corydoras (un genre de poissons-chats d’Amérique du Sud) et les Tetragnatha praedonia (une espèce d’araignée d’eau) peuvent par exemple utiliser leur intestin postérieur pour respirer dans des eaux pauvres en oxygène, selon un mécanisme dit « ventilation entérale ». Il a été suggéré que les mammifères pourraient aussi respirer via ce mécanisme en utilisant leur rectum ou leurs intestins.
Le rectum des mammifères est en effet recouvert d’une muqueuse relativement fine et riche en vaisseaux sanguins directement reliés à la circulation porte (un tronc veineux unique reliant deux réseaux capillaires distincts) et systémique. C’est d’ailleurs pour cela que les médicaments administrés par voie rectale sont facilement absorbés. L’intestin distal des mammifères pourrait ainsi logiquement constituer une voie d’accès aux vaisseaux sanguins sous-muqueux pour des échanges gazeux potentiels.
Des expériences effectuées dans les années 1950 et 1960 ont exploré cette hypothèse chez l’homme et chez des modèles animaux, via les organes gastro-intestinaux supérieurs, mais les résultats sont controversés. Des chercheurs de l’Université d’Osaka, au Japon, ont réexploré l’hypothèse en développant, en 2021, un procédé de ventilation entérale par voie rectale.
La technique est suffisamment atypique pour que les premiers résultats, obtenus sur des modèles porcins, ont valu à Takanori Takebe et ses collègues, l’équipe qui a développé la technique, le prix Ig-Nobel de médecine en 2024. Les Ig-Nobel sont des versions parodiques du prix Nobel récompensant chaque année 10 recherches scientifiques qui paraissent a priori farfelues ou anodines, mais qui amènent ensuite à réfléchir.
« Les patients souffrant d’insuffisance respiratoire sévère ont souvent besoin d’une ventilation mécanique pour survivre, mais ces traitements peuvent aggraver les lésions pulmonaires », explique l’équipe de Takebe dans la nouvelle étude détaillant l’essai clinique. « Les scientifiques explorent une nouvelle méthode appelée ventilation entérale pour administrer de l’oxygène par l’intestin, ce qui pourrait permettre aux poumons de se reposer et de guérir », suggèrent les chercheurs.
Vers une application potentielle en soins néonataux
Les travaux de l’équipe d’Osaka s’appuient sur ceux de Leland Clark, un chercheur de l’Hôpital pour enfants de Cincinnati, dans l’Ohio, qui a développé un liquide perfluorocarboné appelé Oxycyte, contenant de fortes concentrations d’oxygène et pouvant être administré par voie rectale. « La perfluorodécaline, un liquide cliniquement approuvé et hautement soluble dans l’oxygène, est un vecteur prometteur pour l’administration d’oxygène par voie entérale », expliquent les chercheurs dans leur étude publiée cette semaine dans la revue Med.



L’essai a été mené sur 27 volontaires japonais en bonne santé. Les chercheurs ont demandé aux participants de conserver dans leur rectum des quantités variables (entre 25 et 1500 millilitres) de liquide perfluorocarboné (sans oxygène) pendant 60 minutes.
Vingt des participants sont parvenus à conserver le liquide pendant 60 minutes pour des quantités allant jusqu’à 1500 millilitres. Ceux ayant gardé les volumes les plus importants ont signalé des ballonnements et des gênes abdominales. Mais aucun effet indésirable significatif n’aurait été signalé. « Il s’agit des premières données humaines, et les résultats se limitent à démontrer la sécurité de la procédure, et non son efficacité », explique dans un communiqué Takebe, qui exerce également à l’Hôpital pour enfants de Cincinnati.
La prochaine étape de la recherche consistera à tester le protocole avec du perfluorocarbone oxygéné afin de déterminer la quantité et la durée nécessaire pour améliorer le taux d’oxygène sanguin. « Maintenant que la tolérance est établie, la prochaine étape consistera à évaluer l’efficacité du processus pour oxygéner la circulation sanguine », explique Takebe. Le calendrier de réalisation dépendrait toutefois du rythme de financement, mais l’équipe espère à terme pouvoir appliquer la technologie aux soins néonataux.


