La capacité de concentration est propre à chacun, mais lorsqu’il s’agit de travail en équipe, il nous est tous arrivé une fois ou l’autre de ressentir un sentiment intense de synchronisation, lorsque chaque membre de l’équipe atteint un seuil de concentration élevée, avec l’unique but d’atteindre un objectif commun. Récemment, des chercheurs déclarent avoir découvert les états neuronaux propres à cet état profond, appelé « flow d’équipe ».
Dans cet état, chaque membre éprouve un certain sentiment de contrôle et comprend instinctivement les tâches qu’il doit faire ou dans quel ordre afin d’optimiser la performance globale du groupe. Les neuroscientifiques appellent cela le « flow d’équipe », et il fait référence à un état cérébral spécifique. Tout travail d’équipe, surtout s’il est intense, permet d’atteindre cet état, que ce soit en entreprise, dans le cadre d’une compétition sportive, d’une performance musicale, etc.
En d’autres termes, le flow d’équipe se définit comme « l’expérience optimale de coopération que peuvent connaître les membres d’une équipe lorsque leurs actions coopératives sont fluides, synergiques, plaisantes et qu’elles donnent à chacun l’impression de ne faire qu’un avec l’équipe », selon les travaux de Charles Walker de 2010.
Récemment, une équipe internationale de chercheurs dirigée par Mohammad Shehata, professeur associé à l’Université de technologie de Toyohashi (Japon), pense avoir découvert les états neuronaux propres à ce flow d’équipe, et il semble que ceux-ci diffèrent à la fois des états de flow que nous expérimentons en tant qu’individus, et des états neuronaux généralement associés à l’interaction sociale. L’étude a été publiée dans la revue eNeuro.
Objectif synchronisation
Le cerveau humain est une machine fascinante et complexe. Il est composé de milliards de neurones qui émettent des signaux électriques lorsqu’ils sont activés, et certains ensembles de signaux électriques peuvent être alignés sur certaines fréquences : les fréquences alpha, bêta et gamma sont des exemples de fréquences, mesurées en hertz (Hz) ou en cycles par seconde.
« Dans le cas d’un flow individuel, le cerveau bloque les stimuli externes sans rapport avec la tâche. Dans le cas d’une équipe, le cerveau continue de bloquer les stimuli externes, à l’exception des informations relatives à l’état de fluidité du ou des coéquipier(s). Par conséquent, les cerveaux de l’équipe commencent à se synchroniser davantage », a déclaré Shehata. Ces différentes « bandes de fréquences » sont présentes lorsque nous effectuons certaines tâches cognitives, et c’est ce type d’activité neuronale que les chercheurs ont étudié.
L’activité neuronale des participants a été mesurée à l’aide d’un appareil d’électroencéphalographie (EEG), où des électrodes sont placées sur le crâne pour détecter l’activité électrique du cerveau. Dans la phase principale de l’expérience, 38 participants ont été invités à jouer à un jeu similaire à Guitar Hero sur un iPad, où l’on tape sur l’écran en synchronisation avec les indices rythmiques d’une chanson ; ils ont joué par paires, et les chercheurs ont donné la priorité à l’association de deux amis dans la mesure du possible.
L’équipe de recherche a mis au point trois conditions pour l’essai : dans la première, les participants jouaient au jeu en étant séparés de leur partenaire par une cloison en mousse noire, ce qui a permis aux chercheurs d’obtenir des données sur le cerveau lorsqu’il se trouve dans un état de flow « individuel ». Dans la deuxième condition, les participants jouaient au jeu avec un partenaire, mais de temps à autre, les chercheurs diffusaient une musique discordante pour perturber le flow.
Dans la troisième condition, appelée « flow d’équipe », les participants jouaient au jeu avec leur partenaire. La séquence musicale qu’ils devaient jouer sur leurs iPads était identique dans toutes les tâches, afin de minimiser toute charge cognitive.
Pour s’assurer que les participants entraient effectivement dans un état de « flow » dans les conditions souhaitées, les chercheurs ont utilisé deux techniques. D’un point de vue subjectif, après avoir terminé la tâche dans une condition, les participants devaient évaluer certaines déclarations ou répondre à des questions, telles que « J’ai senti que j’avais le contrôle pendant cet essai » ou évaluer la perception de l’écoulement du temps.
Flow d’équipe : une augmentation des ondes cérébrales bêta et gamma
Pour compléter ces données, l’équipe devait également obtenir une mesure objective de l’état de fluidité des participants. « Nous avons utilisé les dimensions de flow que sont l’attention intense liée à la tâche et le sentiment réduit de conscience externe, ainsi que l’effet bien connu de l’attention sélective sur le potentiel évoqué auditif (PEA) », écrivent-ils dans l’étude. « Au cours de chaque essai, nous avons présenté aux participants des signaux sonores sans rapport avec la tâche. Plus les participants étaient immergés dans le jeu, plus l’intensité du PEA en réponse aux signaux sonores non pertinents pour la tâche était faible ».
Lorsque les participants étaient dans un état de flow d’équipe, les chercheurs ont constaté une augmentation de l’activité des ondes cérébrales bêta et gamma dans le cortex temporal moyen gauche. Cette région du cerveau est généralement associée à l’intégration de l’information et à des fonctions clés comme l’attention, la mémoire et la conscience, qui sont « compatibles avec des interactions d’équipe plus élevées et l’amélioration de nombreuses dimensions du flow », écrivent les chercheurs.
Ce qui était vraiment fascinant dans le flow d’équipe, c’est que l’activité neuronale des participants semblait se synchroniser. Lorsque les participants effectuaient la tâche en tant qu’unité, leurs cerveaux s’alignaient mutuellement dans leurs oscillations neuronales (activité bêta et gamma), créant un « état hypercognitif entre les membres de l’équipe ».
Constituer des équipes plus efficaces
Si les cerveaux peuvent être fonctionnellement connectés par la synchronisation intercérébrale, cela signifie-t-il que notre cerveau n’est pas le seul à contribuer à notre conscience ? Selon les auteurs, il est beaucoup trop tôt pour répondre à cette question : « Sur la base de nos résultats, nous ne pouvons pas conclure que la valeur élevée des informations intégrées est en corrélation avec une forme modifiée de conscience, par exemple, la ‘conscience d’équipe’ », écrivent-ils. « Sa cohérence avec la synchronisation neuronale soulève des questions intrigantes et empiriques liées à la synchronisation et à l’intégration des informations entre les cerveaux et à l’état modifié de conscience ».
Cependant, cette étude fournira un cadre fondé sur des modèles neuronaux qui pourront être utilisés pour élaborer des stratégies de constitution d’équipes plus efficaces dans des domaines où la performance et le plaisir humains sont importants (affaires, sports, musique, arts du spectacle, jeux vidéo et divertissement). En partenariat avec des institutions gouvernementales et industrielles, les chercheurs prévoient d’utiliser la signature neuronale du flow d’équipe pour surveiller et améliorer les performances des équipes et, peut-être, constituer des équipes plus efficaces.