Les cellules de la plupart des tissus du corps se renouvellent régulièrement. Ce n’est en revanche pas le cas des cellules nerveuses du cerveau et de la moelle épinière : en cas de lésion, les nouveaux neurones ne parviennent pas à s’intégrer aux réseaux neuronaux déjà en place, en dehors de deux zones spécifiques du cerveau, et finissent par mourir. Les chercheurs pensent que ceci est dû aux cellules gliales, qui forment le tissu de soutien du système nerveux central, en particulier aux cellules de la microglie. Ils ont découvert qu’en diminuant leur activité, il était possible de prévenir l’inflammation chronique et de favoriser la régénération cellulaire.
Les cellules de la microglie sont des macrophages du système nerveux central ; elles constituent le premier niveau de défense contre les pathogènes, mais sont également impliquées dans la réparation tissulaire. En cas de lésion cérébrale, elles déclenchent des inflammations et entraînent la formation de cicatrices qui isolent la zone lésée du reste du cerveau. Cependant, ce processus empêche à long terme la bonne intégration de nouveaux neurones dans les circuits neuronaux. La manière dont l’organisme régule ces mécanismes était jusqu’à présent inconnue.
Des chercheurs de la Ludwig-Maximilians-Universität (LMU), du Helmholtz Zentrum, de la Johannes Gutenberg-Universitätet d’autres instituts allemands ont récemment mené une étude sur le poisson-zèbre visant à mieux comprendre les processus qui sous-tendent la régénération du cerveau chez les animaux et les humains. Le système nerveux central (SNC) du poisson-zèbre possède un pouvoir de régénération exceptionnel : en cas de blessure, les cellules souches neurales génèrent des neurones à longue durée de vie. Chez cette espèce, une lésion du SNC n’entraîne qu’une réaction transitoire de la microglie. De ce fait, l’intégration de nouvelles cellules nerveuses se fait sans difficulté — contrairement à ce que l’on observe dans le cerveau des mammifères.
Une population microgliale « dangereuse » qui doit être éliminée
Les chercheurs ont donc tenté de comprendre ce qui distinguait le cerveau des poissons-zèbres de celui des mammifères, afin d’identifier les voies de signalisation qui empêchent la régénération des cellules dans le cerveau humain. C’est ainsi qu’ils ont découvert que dans le cerveau des poissons, une protéine spécifique empêche la cicatrisation, améliorant ainsi la capacité des tissus à se régénérer.
Dans le cadre de leur étude, ils ont délibérément infligé des blessures (à l’arme blanche) au SNC des poissons-zèbres. Comme attendu, ceci a provoqué l’activation de la microglie ; mais l’équipe a également remarqué que cet état microglial était caractérisé par une accumulation de gouttelettes lipidiques et de condensats de TDP-43, une protéine de liaison à l’ADN. À savoir que des travaux récents ont associé la protéine TDP-43 à certaines maladies neurodégénératives, telles que la maladie de Charcot.
La diminution de l’activation de la microglie apparaît donc cruciale pour prévenir l’inflammation chronique et la cicatrisation des tissus. « Nous avons réussi à identifier la population microgliale ‘dangereuse’ qui doit être éliminée pour obtenir une régénération appropriée », a déclaré le Dr. Jovica Ninkovic, biologiste cellulaire à la LMU, qui a dirigé cette étude.
En cherchant à identifier les voies régulant la réactivité de la microglie chez le poisson-zèbre, l’équipe a observé l’intervention d’une autre protéine, la granuline — une protéine connue pour réguler la croissance et la survie des cellules. Cette protéine a contribué à l’élimination des gouttelettes lipidiques et des condensats de TDP-43, après quoi la microglie est passée de sa forme activée à son état de repos. Finalement, le tissu lésé des poissons a pu se régénérer, sans cicatrice.
Des voies de signalisation similaires dans les tissus humains
Lorsque l’équipe a volontairement induit une déficience en granuline chez certains poissons avant de leur infliger une lésion, ils ont observé que la régénération se faisait beaucoup plus difficilement — comme observé chez les mammifères. « Nous soupçonnons donc que la granuline joue un rôle important dans la régénération des nerfs chez le poisson-zèbre », résume Ninkovic.
Pour compléter cette étude, Ninkovic et ses collègues ont examiné des tissus cérébraux corticaux post-mortem de patients souffrant de lésions cérébrales traumatiques. Ils ont pu établir ici aussi une corrélation entre l’ampleur de l’activation de la microglie et l’accumulation de gouttelettes lipidiques et de condensats de TDP-43. Les voies de signalisation dans ces tissus humains étaient donc comparables à celles du poisson-zèbre.
« Ensemble, nos résultats révèlent un mécanisme nécessaire pour ramener la microglie à un état non activé après une lésion, ce qui pourrait donner lieu à de nouvelles applications thérapeutiques chez l’homme », concluent les chercheurs dans Nature Neuroscience. Cette découverte ouvre potentiellement la voie au développement de nouveaux traitements, applicables tant dans le cas d’une blessure que dans le cadre de diverses pathologies (neurodégénérescence, AVC, tumeur cérébrale, etc.).
Les voies neuronales impliquées dans la régulation de l’activité microgliale pourraient en effet être potentiellement ciblées par des médicaments. Dans une prochaine étape, l’équipe prévoit de vérifier si certains composés connus de faible poids moléculaire sont capables d’inhiber ces voies de signalisation chez l’Homme, ce qui favoriserait la guérison des lésions cérébrales. Des modèles de poisson-zèbre seront à nouveau utilisés dans cette phase préclinique.