Pour la première fois, une équipe du Korea Advanced Institute of Science and Technology (KAIST) a réussi à créer des « atomes volants », en les lançant d’un laser à un autre. Selon les chercheurs, cette approche pourrait être utilisée dans le cadre d’études fondamentales telles que les collisions à faible énergie d’un seul atome, mais aussi dans l’informatique quantique basée sur les qubits volants.
Contrairement aux expériences antérieures faisant usage de pinces optiques pour piéger et manipuler des atomes uniques, ici, les atomes ne sont pas « guidés » par un faisceau laser qui les aurait piégés ; ils sont véritablement lancés par une pince, puis attrapés par une seconde, souligne l’équipe. « Des atomes uniques mobiles d’un endroit à l’autre permettraient de créer une mémoire quantique volante pouvant être utilisée à la fois pour la communication et le calcul quantiques », expliquent Hansub Hwang et ses collaborateurs dans leur article.
Alors que l’avantage des qubits volants pourrait être perdu s’ils interagissent toujours avec les moyens de guidage, en particulier dans un réseau d’atomes encombré — les qubits étant très sensibles aux perturbations extérieures — cette contrainte ne se pose plus ici, car le temps de contact entre les pinces et les atomes est réduit à son minimum. Les chercheurs rapportent « une vitesse de vol libre de 0,65 m/s sur une distance de 12,6 micromètres, avec une efficacité de transport de 94%, même en présence d’autres pinces optiques ou atomes en route ».
Des lasers utilisés comme accélérateur et décélérateur
Les pinces optiques — ou pièges à gradient de force à faisceau unique — sont des instruments qui utilisent un faisceau laser hautement focalisé pour piéger et déplacer des particules microscopiques diélectriques (atomes, molécules, microbilles, objets biologiques, etc.).
Le faisceau laser crée un gradient de champ électromagnétique. Une particule diélectrique dont l’indice de réfraction est plus élevé que celui du milieu environnant subit une force, qui l’entraîne vers ce gradient d’intensité lumineuse. Parallèlement, une partie de la lumière du laser est réfléchie par la particule, ce qui crée une pression de radiation, appelée force de diffusion, qui tend à pousser la particule le long de l’axe de propagation. Le piège repose ainsi sur l’équilibre entre deux forces opposées : la force résultant du gradient et la pression de radiation exercée par la diffusion de la lumière sur la particule.
Le déplacement du faisceau modifie l’équilibre des forces exercées sur la particule, et cette dernière est instantanément déplacée avec le faisceau.
Les atomes uniques manipulés à l’aide de pinces optiques attirent une attention particulière en raison de leur utilisation prometteuse comme support d’information quantique élémentaire. Ainsi, ces dernières années, quelques centaines d’atomes uniques ont été réarrangés dynamiquement à l’aide de pinces optiques pour former des réseaux d’atomes sans défaut.
Pour leurs expériences, les chercheurs du KAIST ont utilisé des atomes de rubidium extrêmement froids, à une température de 40 µK — soit quelques millionièmes de degrés au-dessus du zéro absolu. À l’aide d’une première pince optique, ils ont ciblé un atome pour le mettre en mouvement ; puis un second laser a été activé pour « l’attraper au vol » et le mener jusqu’à l’endroit souhaité. Les pinces optiques ne sont ainsi plus utilisées comme « porteurs d’atomes », mais comme accélérateur (lanceur) et décélérateur (attrapeur) d’atomes, expliquent-ils.
Cette performance n’est limitée que par les réglages actuels des pinces optiques, dont la profondeur et la largeur potentielles sont limitées, précisent les chercheurs.
Vers une architecture quantique dynamique
« Ces atomes volants présentent un avantage pratique pour la formation de réseaux d’atomes sans défaut dans le calcul quantique basé sur les interactions entre atomes de Rydberg », résument les chercheurs. À noter que certains atomes dans l’expérience n’ont pas été attrapés avec succès par la seconde pince optique. L’équipe évoque néanmoins des applications futures prometteuses dans le traitement de l’information quantique, telles que les mémoires quantiques volantes et l’informatique quantique à base d’atomes volants.
Cette approche pourrait en effet permettre de construire des ordinateurs quantiques plus puissants à partir d’atomes ultra froids. Dans ces ordinateurs, chaque atome stocke des informations ; les atomes sont disposés en grilles serrées, de manière à pouvoir interagir facilement avec les atomes voisins. Comparativement aux méthodes de guidage utilisées jusqu’à présent, la possibilité de lancer un atome à un endroit précis de cette grille est donc une approche intéressante, car elle permettrait de corriger les erreurs ou de remplacer un atome sans perturber les atomes alentour.
L’équipe souligne également que dans le traitement de l’information quantique, la plupart des architectures actuelles de calcul quantique sont statiques, de sorte que les interactions entre qubits sont locales. Des atomes volants pourraient permettre de construire une architecture quantique dynamique.