Selon la théorie de la relativité d’Einstein, la gravitation n’est pas une force mais une manifestation de la courbure de l’espace-temps. La constante de gravitation a été mesurée pour la première fois en 1797 par le physicien britannique Henry Cavendish, à l’aide d’une balance de torsion. Plus de deux siècles plus tard, une équipe de chercheurs de l’Université de Stanford annonce avoir réussi, pour la première fois, à mesurer la courbure de l’espace-temps à l’aide d’une fontaine atomique.
La relativité générale prédit que des horloges se déplaçant à des vitesses différentes ou situées dans différentes régions d’un champ gravitationnel tournent à des vitesses différentes, un phénomène connu sous le nom de dilatation temporelle relativiste. Dans certaines conditions, cette dilatation du temps peut affecter la phase d’oscillation des ondes quantiques — un effet mesurable via des expériences d’interférométrie. C’est justement l’objet des recherches de Chris Overstreet et ses collègues du Département de physique de l’Université de Stanford, dont les conclusions viennent d’être publiées dans la revue Science.
À l’aide d’une fontaine atomique utilisée comme interféromètre, les chercheurs ont réussi à observer un déphasage entre deux paquets d’ondes atomiques, dû à la dilatation temporelle. « Outre l’importance des résultats pour la physique fondamentale, les méthodes utilisées peuvent conduire à des mesures plus précises de la constante gravitationnelle de Newton », souligne Albert Roura, de l’Institut des technologies quantiques du Centre allemand pour l’aéronautique, dans un article annexe à la publication.
Un déphasage induit par la dilatation du temps
Cette expérience d’interférométrie atomique repose sur un principe fondamental de la mécanique quantique : la dualité onde-particule, qui signifie qu’une particule peut parfois présenter des propriétés ondulatoires et inversement, qu’une onde peut se comporter comme une particule. Sur ce principe, les atomes mis en œuvre ici peuvent se comporter comme des « paquets d’ondes », qui peuvent se chevaucher et créer des interférences. L’interférométrie atomique permet ainsi de mesurer de minuscules différences de phase lorsque les atomes empruntent des chemins différents à travers les bras d’un interféromètre (ici, une fontaine atomique).
La fontaine atomique consiste en une tour de 10 mètres de haut renfermant un tube sous vide dans lequel un nuage d’atomes est projeté vers le haut à l’aide de lasers. Parvenus à l’extrémité supérieure du tube, les atomes retombent sous l’effet du champ gravitationnel terrestre. Dans le cadre de cette expérience, les chercheurs ont fixé un anneau de tungstène (d’une masse de l’ordre d’un kilogramme) en haut de la fontaine.
À l’aide d’une impulsion laser, ils ont projeté un nuage d’atomes de rubidium depuis le bas, divisé en deux paquets d’ondes ; tous deux ont atteint des hauteurs différentes avant qu’une seconde impulsion ne les fasse redescendre. Une troisième impulsion a permis de capturer les atomes au bas de la fontaine, afin de recombiner leurs paquets d’ondes : ceux-ci étaient déphasés, ce qui suggère que le champ gravitationnel dans la fontaine atomique n’était pas complètement uniforme.
Un effet Aharonov-Bohm gravitationnel
La théorie de la relativité soutient que l’attraction gravitationnelle observée entre des masses est provoquée par une déformation de l’espace et du temps induite par ces masses. Dans l’expérience menée par Overstreet et son équipe, les atomes qui se sont élevés plus haut se sont rapprochés de la masse de tungstène et ont donc subi une plus grande accélération, ce qui a entraîné un infime décalage temporel entre ces atomes et ceux qui ne se sont pas élevés aussi haut ; ces déphasages étaient causés par la dilatation temporelle, qui fait que le temps s’écoule plus lentement à proximité d’objets massifs.
Cette expérience a également montré que l’effet Aharonov-Bohm s’applique également à la gravité. L’effet Aharonov-Bohm est un phénomène de mécanique quantique dans lequel une particule chargée électriquement est affectée par un potentiel électromagnétique, bien qu’elle soit confinée dans une région dans laquelle le champ magnétique et le champ électrique sont nuls. Dans la fontaine atomique, les électrons empruntant des chemins propres vers le haut et vers le bas de l’instrument ont été amenés à se superposer, et malgré le champ magnétique dans la chambre, aucune force magnétique n’a été exercée sur eux ; pourtant, il y avait toujours des preuves de déplacement du champ magnétique, notent les chercheurs.
L’équipe précise par ailleurs que son approche pourrait un jour remplacer les interféromètres optiques (LIGO et Virgo), utilisés actuellement pour détecter les ondes gravitationnelles. Ces instruments, qui sont des interféromètres de Michelson géants, utilisent des miroirs réfléchissant des faisceaux laser sur plusieurs kilomètres pour détecter d’infimes modifications de l’espace-temps ; celles-ci se matérialisent sous forme de minuscules changements de distances entre les miroirs, de l’ordre de 10-18 mètres. Mais l’interférométrie atomique pourrait s’avérer encore plus sensible. « L’interférométrie atomique pourrait un jour être utilisée pour détecter les ondes gravitationnelles et nous aider à mieux naviguer que le GPS », ont déclaré les chercheurs.