Des chercheurs mettent en lumière des liens génétiques communs entre 14 troubles psychiatriques

« Génétiquement, nous avons constaté qu’ils sont plus semblables qu’uniques. »

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Une vaste analyse génomique détaillée sur 14 troubles mentaux révèle que certains grands groupes, tels que celui de l’anxiété et de la dépression, partagent les mêmes caractéristiques génétiques. Autrement dit, certains troubles auraient plus de points communs au niveau biologique qu’on le pensait. Ces données pourraient non seulement avoir d’importantes implications dans les protocoles de diagnostic de ces maladies, mais également dans les stratégies thérapeutiques visant à les traiter.

Les troubles mentaux présentent souvent des symptômes qui se chevauchent, ce qui complique considérablement les diagnostics. De plus, ces derniers se basent principalement sur les manifestations cliniques, les mécanismes physiopathologiques de ces maladies demeurant pour le moment largement incompris.

En conséquence, plus de la moitié de la population, notamment dans les pays occidentaux, présentera au moins un trouble psychiatrique au cours de leur vie. Et plus de la moitié des personnes diagnostiquées avec un trouble psychiatrique recevront un deuxième, voire un troisième diagnostic. Une étude indique que près de 41 % des personnes diagnostiquées avec un trouble psychiatrique présenteront les symptômes d’au moins quatre autres troubles tout au long de leur vie.

« Actuellement, nous diagnostiquons les troubles psychiatriques en fonction de ce que nous observons lors de la consultation, et de nombreuses personnes se retrouvent diagnostiquées avec plusieurs troubles. Cela peut rendre le traitement difficile et être décourageant pour les patients », explique, dans un article de blog du Mass General Brigham, Andrew Grotzinge, professeur adjoint de psychologie et de neurosciences à l’Université du Colorado à Boulder.

Face à ces défis diagnostiques, qui se répercutent directement sur le choix de traitements adaptés, les recherches se concentrent désormais sur l’identification des gènes associés aux troubles mentaux. Les récentes avancées en génomique psychiatrique ont en effet permis de mettre en évidence des variantes génétiques, dont certaines sont communes à plusieurs troubles.

Grotzinge et ses collègues ont prolongé cette approche en menant une analyse d’une ampleur inédite des gènes associés aux troubles mentaux. « Les analyses présentées ici constituent la troisième étude majeure du groupe de travail inter-troubles (Cross-Disorder Group) du Consortium de génomique psychiatrique », écrivent-ils dans leur étude publiée le 10 décembre dans la revue Nature.

Vers une refonte progressive des classifications psychiatriques ?

L’équipe de l’étude a analysé les données génomiques de plus d’un million de personnes diagnostiquées avec au moins un des 14 troubles psychiatriques majeurs, ainsi que celles de 5 millions de personnes en bonne santé. Ces troubles incluent par exemple la dépression, l’anxiété, la schizophrénie, les troubles bipolaires, le trouble obsessionnel-compulsif (TOC), entre autres.

Les chercheurs ont identifié cinq principaux facteurs génomiques impliquant 238 variantes génétiques chez les personnes présentant au moins un diagnostic de trouble mental. Ces « facteurs génomiques » correspondent à des ensembles de variations génétiques qui tendent à être partagées entre plusieurs troubles, suggérant l’existence de mécanismes biologiques communs. Les données ont ainsi permis de regrouper les troubles en cinq grandes catégories, chacune rassemblant plusieurs affections aux caractéristiques génétiques similaires. La première inclut les troubles à composante compulsive, tels que l’anorexie mentale, le syndrome de Gilles de La Tourette et le trouble obsessionnel-compulsif (TOC).

La deuxième catégorie représente les troubles dits « internalisés », comme la dépression, l’anxiété et le trouble de stress post-traumatique. Les troubles liés à l’usage de substances constituent la troisième catégorie, tandis que les troubles neurodéveloppementaux — tels que l’autisme et le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) — forment la quatrième.

Fait notable, les troubles bipolaires et la schizophrénie sont classés dans une même catégorie — la cinquième — alors que les cliniciens les considèrent habituellement comme deux affections distinctes. Les analyses de la nouvelle étude indiquent qu’environ 70 % des voies génétiques impliquées dans la schizophrénie le sont également dans les troubles bipolaires. « Génétiquement, nous avons constaté qu’ils sont plus semblables qu’uniques », souligne Grotzinger.

« Ces travaux apportent la meilleure preuve à ce jour que certains troubles, que nous désignons actuellement par des noms différents, pourraient en réalité être liés aux mêmes processus biologiques », ajoute-t-il.

Des voies biologiques spécifiques à certains groupes

L’analyse génomique a par ailleurs permis d’identifier des voies biologiques spécifiques sous-jacentes aux différents groupes. Les gènes associés aux neurones excitateurs, impliqués dans la transmission des signaux entre les neurones, tendent par exemple à être surexprimés à la fois dans les troubles bipolaires et la schizophrénie.

Dans les troubles internalisés, des variations génétiques affectant les oligodendrocytes — des cellules spécialisées essentielles au maintien et à la protection des réseaux neuronaux — sont fréquemment observées. Les résultats suggèrent également que certains facteurs génétiques communs interviennent très tôt dans le développement cérébral, dès la période fœtale, tandis que d’autres exerceraient une influence plus marquée à l’âge adulte.

Il est toutefois prématuré d’envisager des diagnostics fondés sur ces seuls résultats, préviennent les chercheurs. Ceux-ci devraient néanmoins contribuer à affiner la compréhension des mécanismes biologiques à l’œuvre dans les troubles psychiatriques et, à terme, à ouvrir la voie à de nouvelles stratégies thérapeutiques.

Ces travaux pourraient également alimenter les réflexions autour du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), ouvrage de référence en psychiatrie actuellement en cours de révision. « En identifiant les points communs entre ces troubles, nous pourrons, espérons-le, élaborer des stratégies pour les cibler différemment, sans recourir à quatre médicaments distincts ou à quatre interventions psychothérapeutiques séparées », conclut Andrew Grotzinger.

Source : Nature
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