Les humains pourront-ils un jour vivre ailleurs que sur la Terre ? Peut-on envisager la construction de villes spatiales, et si oui, comment ? Dans un article théorique, publié dans Frontiers in Astronomy and Space Sciences, des chercheurs de l’Université de Rochester explorent la possibilité que de petits astéroïdes proches de la Terre puissent être un jour utilisés comme supports d’habitats humains.
Une grande partie de l’attention portée à la colonisation du système solaire se concentre sur Mars. Les planètes et les grandes lunes offrent en effet l’avantage d’avoir des champs gravitationnels in situ plus importants et la possibilité de construire des colonies souterraines pour fournir une protection contre les radiations, expliquent les auteurs de l’étude. Une autre possibilité réside selon eux dans les astéroïdes géocroiseurs, qui suivent des orbites elliptiques traversant le système solaire interne.
Ces astéroïdes pourraient en théorie abriter des colonies souterraines, protégeant les humains des rayonnements solaires et cosmiques. Reste le problème de la gravité, qui doit être suffisamment forte pour préserver la santé humaine. Une gravité proche de celle de la Terre pourrait être induite par une rotation rapide d’un astéroïde qui aurait été évidé, mais la capacité de ces corps à résister aux contraintes matérielles causées par la rotation n’est pas claire. Une équipe de l’Université de Rochester propose une solution au problème.
Une enveloppe en nanofibres de carbone pour contenir les débris
Dans une étude pionnière sur le sujet, publiée en 2019, l’astrophysicien Thomas Maindl et ses collègues de l’Université de Vienne ont exploré la possibilité qu’un astéroïde solide puisse être converti en habitat s’il était creusé et si sa rotation était augmentée de sorte que l’accélération centrifuge approche 38% de la gravité terrestre (ce qui est équivalent à la gravité de Mars). Ils ont conclu que de petits astéroïdes, de quelques centaines de mètres de rayon, pourraient servir d’habitat en rotation sans dépasser la limite d’élasticité matérielle de la roche.
Ces travaux s’inspirent des cylindres d’O’Neill — un projet d’habitat spatial théorique proposé par le physicien américain Gerard K. O’Neill dans les années 1970 : deux cylindres à rotation inversée, reliés à chaque extrémité, qui tourneraient assez vite pour fournir une gravité artificielle sur leur surface intérieure.
Mais Peter Miklavčič et ses collègues soulignent que les « petits » astéroïdes considérés dans l’étude de Maindl ne sont généralement pas des corps solides, mais plutôt des « tas de gravats », des conglomérats lâches de matériaux, composés de particules de taille très variable (du grain de sable au rocher), qui sont maintenus par une attraction gravitationnelle mutuelle. Cette idée a d’ailleurs été soutenue par les récentes images des astéroïdes Itokawa, Bennu et Ryugu.
La technique de « creusage » n’est donc pas viable pour les astéroïdes de ce type, qui se décomposeraient sous l’effet de la rotation rapide. Quant aux astéroïdes plus gros, la résistance requise dépasse la limite d’élasticité du matériau rocheux solide. Ils sont en outre beaucoup moins nombreux dans le système solaire : il existe plus de 10 000 astéroïdes géocroiseurs (ou NEA pour Near-Earth Asteroids) d’un diamètre supérieur à 100 mètres, mais seulement environ 900 d’un diamètre supérieur à un kilomètre — ce qui soutient l’usage des petits astéroïdes pour la conception de nouveaux habitats.
Dans cette nouvelle étude, les chercheurs proposent donc non seulement d’évider l’astéroïde, mais envisagent l’ajout d’une structure de confinement extérieure, flexible, faite de nanofibres de carbone ultralégères et très résistantes, destinée à contenir les décombres.
Des technologies existantes ou en cours de développement
« Un sac de confinement cylindrique construit à partir de nanotubes de carbone serait extrêmement léger par rapport à la masse des décombres de l’astéroïde et de l’habitat, mais suffisamment solide pour tout maintenir ensemble », explique Miklavčič.
Pour convertir un astéroïde en coquille cylindrique creuse, ils proposent donc un processus en deux étapes. Au cours de la première étape, la rotation de l’astéroïde serait progressivement augmentée de manière contrôlée à partir d’une certaine valeur initiale jusqu’au taux de rotation souhaité. Les forces centrifuges résultantes provoqueraient inévitablement l’éclatement de l’astéroïde. Le défi de cette étape consiste à identifier le mécanisme approprié pour induire la rotation. Les chercheurs envisagent ici l’utilisation de « canons à débris », alimentés par énergie solaire, qui éjecteraient de la masse tangentiellement à la surface de l’astéroïde.
Dans la seconde étape, les gravats seraient capturés dans le sac de nanofibres de carbone externe, qui se trouverait initialement dans un état comprimé enveloppant l’astéroïde et qui pourrait se dilater jusqu’à atteindre la géométrie cylindrique souhaitée. « Le résultat est un volume creux et blindé qui peut être mis en rotation jusqu’à une fraction significative de la gravité terrestre grâce à la force supplémentaire fournie par la structure de support », résument-ils. À mesure que les décombres se déposeront contre le sac, ils formeront une couche suffisamment épaisse pour protéger contre les radiations toute personne vivant à l’intérieur.
« D’après nos calculs, un astéroïde de 300 mètres de diamètre pourrait être transformé en un habitat spatial cylindrique d’une surface habitable d’environ 35 kilomètres carrés. C’est à peu près la taille de Manhattan », précise Adam Frank, co-auteur de l’étude.
Si le concept de ville spatiale relève encore de la science-fiction, les auteurs de l’étude affirment que les technologies requises n’enfreignent aucune loi de la physique et sont des technologies couramment utilisées ou en cours de développement. « Les villes spatiales peuvent sembler fantaisistes aujourd’hui, mais l’histoire montre qu’un siècle environ de progrès technologiques peut rendre possible des choses impossibles à un moment t », conclut le physicien.