Les farines de poisson sont largement utilisées dans l’élevage industriel et dans l’alimentation des animaux domestiques. Elles sont produites à partir de déchets de l’industrie du poisson, mais aussi de poissons pêchés spécialement pour cet usage. Des chercheurs de l’Université de Stanford proposent aujourd’hui une approche plus rentable : ils proposent d’utiliser le méthane rejeté par les industries pour le transformer en aliments protéinés grâce à des bactéries méthanotrophes. Une manière de résoudre deux problèmes environnementaux en même temps (effet de serre et surpêche) en les transformant en ressource alimentaire durable.
L’aquaculture est un secteur qui connaît une croissance rapide ; elle fournit près de la moitié de tous les fruits de mer consommés aujourd’hui. Cependant, la pisciculture repose sur la farine de poisson produite à partir de poissons pêchés dans l’océan, ce qui conduit à une surexploitation des océans. Parallèlement, le méthane émis par les industries est un facteur important du changement climatique mondial. Or, les bactéries méthanotrophes peuvent transformer ce méthane en une biomasse utile, riche en protéines, dont l’inclusion dans l’alimentation animale est déjà approuvée.
Dans leur étude, les chercheurs démontrent le potentiel économique de cette approche. Leurs résultats montrent qu’elle peut fournir une production équivalente à 14% du marché mondial de la farine de poisson, à des prix égaux ou inférieurs au coût actuel de la farine de poisson (environ 1600 $ par tonne métrique) et ce, rien qu’aux États-Unis. Via la mise en œuvre de réduction de coûts techniquement et économiquement réalisables, le méthane capturé pourrait même satisfaire la demande mondiale en farine de poisson.
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Réduire l’effet de serre et la surpêche via une seule initiative
La consommation de fruits de mer a plus que quadruplé depuis 1960. Par conséquent, les populations de poissons sauvages se sont gravement appauvries et les piscicultures fournissent aujourd’hui environ la moitié de tous les fruits de mer d’origine animale que nous consommons. Or, une analyse complète du secteur menée par des chercheurs de Stanford et d’autres institutions montre que la demande mondiale de poissons, de crustacés et d’algues devrait doubler d’ici 2050.
Un rapport de Greenpeace publié au mois de juin a par ailleurs mis en évidence les conséquences dévastatrices du commerce de la farine de poisson, en particulier en Afrique de l’Ouest. Dans cette région du monde, plus d’un demi-million de tonnes de petits poissons propres à la consommation humaine sont extraits chaque année de l’océan, principalement pour alimenter le poisson d’élevage en Europe et Asie.
Le méthane est, quant à lui, un puissant gaz à effet de serre ; à quantité égale, il est plus puissant que le dioxyde de carbone : son potentiel de réchauffement global est environ 85 fois plus important sur une période de 20 ans et au moins 25 fois plus important un siècle après sa libération. En outre, le méthane nuit à la qualité de l’air en augmentant la concentration d’ozone troposphérique — un phénomène qui serait à l’origine d’un million de décès prématurés chaque année dans le monde en raison de maladies respiratoires. Ce gaz est principalement issu de l’élevage, des combustibles fossiles et des déchets. Lors de la COP26, une centaine de pays se sont engagés à réduire leurs émissions de méthane de 30% d’ici 2030.
En attendant, pour réduire les concentrations de méthane dans l’air, une équipe de l’Université de Stanford propose une approche unique en son genre, qui pourrait contribuer à résoudre ces deux problématiques majeures : ils estiment qu’il serait particulièrement rentable de produire des aliments pour poisson riches en protéines à partir de méthane capturé dans les stations d’épuration des eaux usées, les décharges et les installations pétrolières et gazières. « Il en résulterait de multiples avantages, notamment des niveaux plus faibles d’un puissant gaz à effet de serre dans l’atmosphère, des écosystèmes plus stables et des résultats financiers positifs », souligne Craig Criddle, professeur de génie civil et environnemental à l’école d’ingénierie de Stanford et co-auteur de l’étude.
Les bactéries méthanotrophes utilisées dans ce procédé peuvent être cultivées dans un bioréacteur réfrigéré rempli d’eau et alimenté en méthane sous pression, en oxygène et en nutriments. La biomasse riche en protéines qui en résulte peut ensuite être utilisée comme aliment pour l’aquaculture.
Une approche qui pourrait répondre aux besoins mondiaux
Pour chiffrer véritablement leur approche, les chercheurs ont étudié différents scénarios, faisant varier les zones de captage du méthane. Ils ont également pris en compte une série de variables, notamment le coût de l’électricité et la disponibilité de la main-d’œuvre.
Dans les scénarios impliquant le captage du méthane des décharges et des installations pétrolières et gazières, les coûts de production de la farine de poisson méthanotrophe — qui s’élevaient respectivement à 1546 $ et 1531 $ la tonne — étaient inférieurs au prix moyen du marché observé sur 10 ans (1600 $). Dans le scénario où le méthane était capté dans les usines de traitement des eaux usées, les coûts de production étaient légèrement plus élevés (1645 $ par tonne). Ils ont également étudié le scénario dans lequel le méthane était acheté sur le réseau commercial de gaz naturel : c’est celui qui entraîne les coûts de production les plus élevés (1783 $ par tonne).
Quel que soit le scénario, l’électricité constituait la dépense la plus importante (45% du coût total en moyenne). Les chercheurs notent toutefois que dans certains États américains, où les prix de l’électricité sont plus bas, les coûts baissent de plus de 20%. Ils pourraient être réduits davantage en concevant des réacteurs qui transfèrent mieux la chaleur et nécessitent moins de refroidissement. Les auteurs soulignent qu’il pourrait aussi être intéressant de remplacer les systèmes électriques par des systèmes alimentés par le gaz non utilisé ; en outre, dans les scénarios impliquant du méthane provenant d’usines de traitement des eaux usées, ces eaux pourraient elles-mêmes servir à fournir les nutriments nécessaires aux bactéries (azote, phosphore), et servir de système de refroidissement.
Si ces améliorations permettent effectivement de réduire de 20% le coût de production, le procédé pourrait répondre de manière rentable à la demande mondiale de farine de poisson uniquement avec le méthane capté aux États-Unis. Il pourrait même potentiellement remplacer le soja et les aliments pour animaux moyennant d’autres réductions de coûts, concluent les chercheurs.