L’existence d’une autre sphère métallique au sein du noyau interne de notre planète, appelée « noyau interne le plus profond », a été suggérée il y a une vingtaine d’années. Il était cependant difficile à l’époque de confirmer cette théorie en raison de la rareté des stations sismiques mondiales. Aujourd’hui, grâce à un réseau de surveillance plus sophistiqué et largement déployé, des chercheurs apportent une nouvelle preuve de cette hypothèse.
Le noyau interne (ou graine) a été découvert par la sismologue danoise Inge Lehmann, en 1936. Il s’agit d’une sphère solide d’environ 1220 km de rayon, située au cœur du noyau externe, qui lui est liquide. Il se compose d’un alliage de fer et de nickel, ainsi que d’éléments plus légers. Dans les années 1980, des sismologues ont découvert que les ondes sismiques qui se propagent parallèlement à l’axe nord-sud, traversent la graine plus vite que les ondes sismiques voyageant parallèlement à l’équateur : un phénomène connu sous le nom d’anisotropie sismique.
On sait également que le noyau interne est impliqué dans la dynamo terrestre : à mesure qu’il se développe, la chaleur latente et les éléments légers libérés par le processus de solidification entraînent la convection du noyau externe liquide, qui, à son tour, maintient la géodynamo. Ainsi, des changements détectables dans sa structure pourraient indiquer des changements dans le fonctionnement du champ géomagnétique, qui auraient pu profondément influencer l’évolution de la Terre et de son écosystème. C’est pourquoi sonder la partie la plus profonde du noyau interne est essentiel pour comprendre l’évolution de notre planète.
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Des ondes sismiques « rebondissantes » traversant jusqu’à cinq fois la Terre
Le noyau interne est ainsi considéré comme une véritable « capsule temporelle », qui peut renfermer des indices sur les événements qui se sont produits sur Terre il y a des centaines de millions, voire des milliards d’années. Mais parce qu’il est enfoui sous plusieurs autres couches, ce noyau interne — et en particulier sa partie la plus profonde — est particulièrement difficile à étudier et reste très mystérieux.
« Pour sonder la sphère la plus centrale du noyau interne, les stations sismiques et les séismes doivent être positionnés à des distances quasi antipodales, ce qui est un défi dans la pratique en raison du confinement des grands séismes de la zone de subduction dans la ceinture quasi-équatoriale et des déploiements sismiques limités dans les océans et les régions éloignées », expliquent Thanh-Son Phạm et Hrvoje Tkalčić, sismologues à l’Université nationale australienne.
La seule manière d’étudier les couches profondes de la planète repose en effet sur l’étude des ondes sismiques qui la traversent et qui changent de vitesse et de direction selon la densité des milieux qu’elles rencontrent. C’est à partir de données sismiques que deux chercheurs de l’Université d’Harvard ont suggéré pour la première fois en 2002 que le noyau interne hébergeait probablement un autre noyau en son cœur, d’environ 300 km de rayon ; selon eux, celui-ci présente une isotropie transversale distincte de celle du reste du noyau interne.
Grâce à un nombre croissant de stations sismiques mondiales, Phạm et Tkalčić ont pu analyser de nouvelles données sismiques, jetant un nouvel éclairage sur ce noyau interne profond. À l’aide d’une nouvelle technique permettant d’amplifier les signaux enregistrés, ils rapportent des enregistrements d’ondes jamais observées jusqu’à présent : une classe inédite d’ondes « réverbérantes », qui traversent la Terre de part en part en passant par son centre et parcourent jusqu’à cinq fois son diamètre, rebondissant telle une balle de ping-pong. Ces ondes sont appelées « multiples PKIKP ». « À notre connaissance, les réverbérations de plus de deux passages ne sont pas encore rapportées dans la littérature sismologique », soulignent-ils.
La preuve d’un événement majeur ayant bouleversé la croissance du noyau
Dans le cadre de leur étude, les deux chercheurs ont analysé les données d’environ 200 séismes de magnitude 6 et plus, survenus au cours de la dernière décennie. L’un des séismes étudiés par les deux experts est survenu aux Îles Salomon, en janvier 2017. L’empilement des formes d’ondes sismiques liées à l’événement a montré que les phases sismiques se sont répercutées plusieurs fois sur tout le diamètre de la Terre, en passant par le noyau interne.
Les chercheurs ont étudié l’anisotropie de l’alliage fer-nickel qui compose le noyau interne ; cette anisotropie — due probablement à un arrangement différent des atomes de fer à des températures et des pressions élevées — influe sur la vitesse des ondes sismiques en fonction de la direction via laquelle elles pénètrent dans le milieu. Ils ont constaté que les ondes sismiques rebondissantes sondaient de manière répétée des points proches du centre de la Terre sous différents angles.
En analysant la variation des temps de parcours des ondes sismiques pour différents tremblements de terre, les deux chercheurs ont déduit que la structure cristallisée de la région la plus profonde du noyau interne est probablement différente de celle de la couche externe. Ceci pourrait notamment expliquer pourquoi les ondes accélèrent ou ralentissent en fonction de leur angle d’entrée lorsqu’elles pénètrent dans la partie la plus interne du noyau.
« Le modèle déduit du noyau interne transversalement isotrope contient une boule interne de 650 km d’épaisseur dont la vitesse des ondes P est inférieure de 4% à 50° de l’axe de rotation de la Terre. En revanche, l’enveloppe extérieure du noyau interne présente une anisotropie beaucoup plus faible, la direction la plus lente se situant dans le plan équatorial », résument les sismologues dans Nature Communications.
Ces résultats suggèrent un changement fondamental du régime de croissance du noyau interne dans le passé de la Terre. En d’autres termes, un événement mondial majeur s’est sans doute produit à un moment donné, entraînant un changement significatif de la structure cristalline ou de la texture du noyau interne de notre planète. D’autres recherches devront être menées pour caractériser la transition entre le noyau interne et sa partie la plus profonde. « Il reste encore de nombreuses questions sans réponse sur le noyau interne de la Terre, qui pourrait détenir les secrets permettant de reconstituer le mystère de la formation de notre planète », a déclaré le professeur Tkalčić.