Au moment de l’arrêt cardiaque, toute une cascade de processus se déclenche aux niveaux cellulaire et métabolique, endommageant massivement les cellules du corps et suspendant les fonctions organiques, avant de conduire au décès. Les technologies actuelles interviennent à différents stades de cette cascade, afin de tenter de réanimer les patients et de restaurer leurs fonctions vitales. Cependant, au bout d’un certain temps, elle conduit inévitablement à un état irréversible. Récemment, des chercheurs de l’Ivy League ont réussi l’incroyable exploit de restaurer les fonctions organiques chez des porcs une heure après leur mort, grâce à un substitut sanguin artificiel baptisé OrganEx. Testée pour la première fois en 2019, sur des cerveaux d’animaux décapités, la solution a été modifiée de sorte à s’adapter à tous les organes, et bat tous les records en matière de tentatives d’inversion du processus métabolique de la mort. Cette découverte pourrait bouleverser la définition même de la mort clinique.
Quand une personne subit une crise ou un arrêt cardiaque, le personnel soignant tente de la réanimer par défibrillation et la met sous assistance respiratoire afin de restaurer ses fonctions vitales. En dernier recours, les médecins peuvent utiliser une machine d’oxygénation par membrane extracorporelle (ECMO), aussi utilisée pour la conservation d’organes à greffer. Toutefois, ces méthodes doivent être appliquées immédiatement après la défaillance cardiaque pour avoir le maximum de chances de réussite, qui peuvent varier selon la gravité de l’état du patient.
Une fois la durée de possibilité de réanimation dépassée ou en cas d’échec, les cellules et les organes vitaux se détériorent rapidement. Ces dommages sont dus à l’absence d’approvisionnement en oxygène, où le sang devient de plus en plus acide à mesure que le CO2 s’y accumule. À partir du moment où la circulation sanguine commence à s’arrêter, une cascade de processus biochimiques s’enclenche, et des enzymes et métabolites cellulaires commencent à détruire massivement les cellules dans ce que l’on appelle la nécroptose (une mort cellulaire non régulée, contrairement à l’apoptose).
Au cours de cet évènement, les enzymes digèrent les membranes cellulaires, dont les constituants se propagent dans le milieu extracellulaire. Ce déversement de liquide ralentit davantage la circulation sanguine jusqu’à la bloquer complètement. Ce processus de décomposition conduit rapidement (quelques minutes après le dernier battement cardiaque) au gonflement et à la perte de l’intégrité structurelle des organes.
Cependant, les résultats de la nouvelle étude semblent démontrer que cette cascade peut encore s’inverser dans une certaine mesure, et la défaillance cellulaire massive et permanente ne se produirait pas aussi rapidement qu’on le croyait. « Toutes les cellules ne meurent pas immédiatement, il y a une série d’événements plus prolongés », explique David Andrijevic, chercheur associé en neurosciences à l’école de médecine de la Yale School et co-auteur principal de l’étude. « C’est un processus dans lequel vous pouvez intervenir, arrêter et restaurer certaines fonctions cellulaires », affirme-t-il.
D’après les résultats des recherches, publiés dans la revue Nature, le fluide conçu par les chercheurs de Yale (OrganEx) a permis de restaurer les fonctions cellulaires et organiques chez des porcs une heure après leur mort. Ces essais se sont notamment appuyés sur des expérimentations antérieures, où les mêmes chercheurs avaient réussi à restaurer certaines fonctions neuronales chez des porcs près de quatre heures après leur décapitation.
« Si nous avons été capables de restaurer certaines fonctions cellulaires dans le cerveau mort, un organe connu pour être le plus sensible à l’ischémie, nous avons émis l’hypothèse que quelque chose de similaire pourrait également être réalisé dans d’autres organes vitaux transplantables », explique Nenad Sestan, également chercheur à Yale et auteur principal de l’étude.
Des signes de fonctions motrices restaurées
Dans les expérimentations de la nouvelle étude, les chercheurs ont développé OrganEx en modifiant la solution utilisée sur les porcs décapités (appelée BrainEx). Le nouveau fluide contient 13 ingrédients, dont des composés favorisant l’intégrité cellulaire et atténuant l’inflammation, ainsi que des anticoagulants. Fait intéressant : le substitut sanguin ne contient pas de globules rouges, mais un composé appelé Hemopure, dérivé du sang bovin et qui peut fixer l’oxygène comme l’hémoglobine.
Le dispositif de réanimation est également constitué d’un système de perfusion similaire aux machines cœur-poumon classiques. Durant les expériences, les chercheurs ont provoqué des arrêts cardiaques chez des porcs en bonne santé et sous anesthésie générale. OrganEx a été administré une heure après leur mort artificielle.
Six heures après, l’équipe de recherche a découvert que certaines fonctions cellulaires clés étaient réactivées dans de nombreuses zones du corps des porcs, dont le cœur, le foie et les reins. Bien qu’il soit apparemment difficile de différencier au microscope un organe sain d’un organe dont les fonctions ont été restaurées, des signaux électriques auraient été détectés dans les cœurs, qui ont retrouvé leur capacité de contraction. Des signaux ont également été détectés dans les cerveaux, et plus étonnant encore, des mouvements involontaires du cou et de la tête ont été observés, indiquant une certaine restauration des fonctions motrices.
Bien que ces résultats soulèveront encore de nombreuses questions éthiques et nécessitent des recherches plus approfondies, il s’agit d’une avancée considérable, dans la mesure où ils pourront déjà être appliqués à la conservation d’organes issus de donneurs décédés, pour leur rapatriement sur de longues distances par exemple. OrganEx pourrait aussi être utilisé pour la réparation tissulaire post-AVC ou suite à une crise cardiaque.