Cela peut être difficile à croire étant donné l’immense diversité des espèces, mais l’ensemble des mammifères de la planète descendent d’un ancêtre commun, qui existait il y a environ 180 millions d’années. Une équipe internationale de chercheurs est parvenue à reconstituer informatiquement l’organisation du génome de cet animal. Ce travail pourrait aider à comprendre l’évolution des mammifères et à la conservation des animaux modernes.
La résolution des caryotypes et des relations synténiques — la synténie désignant l’ordonnancement identique des gènes sur des chromosomes de deux espèces différentes — chez les ancêtres communs facilite l’identification et la datation des réarrangements chromosomiques qui ont conduit à l’organisation des génomes existants. « Décrypter les réarrangements qui régissent l’évolution des chromosomes des mammifères est essentiel pour comprendre les bases moléculaires de la spéciation, de l’adaptation et de la sensibilité aux maladies », écrivent les chercheurs dans Proceedings of the National Academy of Sciences.
Des études antérieures sur l’évolution des chromosomes de mammifères se sont concentrées sur les mammifères placentaires ou marsupiaux. Ces travaux ont permis de mieux comprendre certains mécanismes qui régissent les réarrangements chromosomiques et leur rôle dans l’adaptation et la spéciation. Mais de nombreuses questions restent encore sans réponse, en particulier celles concernant la persistance de grands blocs de synténie homologues et la distribution des régions de points de rupture. C’est pourquoi des chercheurs ont entrepris de reconstruire les caryotypes ancestraux le long de la phylogénie des mammifères, y compris celui de leur ancêtre commun.
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Des blocs de gènes essentiels au développement de l’embryon
Pour ce faire, ils se sont appuyés sur des séquences génomiques de haute qualité de 32 espèces vivantes, représentant 23 des 26 ordres connus de mammifères — 19 euthériens (mammifères placentaires), 3 marsupiaux et 1 monotrème (mammifère ovipare).
Ces espèces comprenaient des humains, des chimpanzés, des wombats, des lapins, des lamantins, des bovins domestiques, des rhinocéros, des chauves-souris, des pangolins, etc. L’équipe a également inclus des génomes de poulet et d’alligator chinois à titre de comparaison. Certains des génomes utilisés ont été produits dans le cadre du projet Earth BioGenome et d’autres efforts similaires de séquençage à grande échelle du génome de la biodiversité.
Trois génomes de référence différents (humain, paresseux et bovin) représentant des superordres de mammifères phylogénétiquement distincts ont été utilisés pour évaluer le biais de référence dans les caryotypes ancestraux reconstruits.
La reconstruction révèle que l’ancêtre de tous les mammifères possédait probablement 19 paires de chromosomes autosomiques — soit des chromosomes qui contrôlent l’héritage des caractéristiques d’un organisme en dehors de celles liées au sexe — plus deux chromosomes sexuels, a déclaré Joana Damas, chercheuse au UC Davis Genome Center et première auteure de l’étude.
L’équipe a par ailleurs identifié 1215 blocs de gènes qui apparaissent systématiquement sur le même chromosome et dans le même ordre dans les 32 génomes. Ces blocs de construction de tous les génomes de mammifères contiennent des gènes essentiels au développement d’un embryon normal, a précisé Damas.
Une incroyable stabilité sur plus de 300 millions d’années
« Le génome de mammifère ancestral reconstruit a révélé que les génomes de mammifères existants sont une mosaïque dérivée du brassage évolutif de 2557 segments synténiques, en moyenne 880 000 paires de bases, représentant 69 à 94% de la taille du génome de toutes les espèces analysées », résument les chercheurs. Ces segments synténiques servent de blocs de construction fondamentaux de tous les génomes de mammifères.
Neuf des plus petits chromosomes sont partagés avec l’ancêtre commun de tous les amniotes (les animaux disposant d’un sac amniotique protégeant l’embryon), dont trois sont encore conservés chez les mammifères actuels. En d’autres termes, l’ancêtre des mammifères possédait des chromosomes dont l’ordre des gènes est le même que celui observé dans les chromosomes des oiseaux modernes ! Cette découverte démontre « une conservation frappante de la synténie sur environ 320 millions d’années de l’évolution des vertébrés », souligne l’équipe.
Les régions situées entre les blocs de gènes conservés contenaient des séquences plus répétitives et étaient plus sujettes aux cassures, réarrangements et duplications de séquences, qui sont les principaux moteurs de l’évolution du génome.
Les chercheurs ont constaté que les différences entre les chromosomes des ancêtres des mammifères et des thériens (placentaires + marsupiaux) résultent de 96 réarrangements chromosomiques sur 18 Ma (millions d’années). L’ancêtre euthérien (le clade regroupant les placentaires) est l’ancêtre commun le plus récent des trois lignées représentées par les génomes de référence : son caryotype a évolué à partir de celui de l’ancêtre thérien à la suite de 124 réarrangements chromosomiques sur 53 millions d’années.
En suivant les chromosomes ancestraux dans le temps à partir de l’ancêtre commun, les chercheurs ont découvert que le taux de réarrangement chromosomique différait entre les lignées de mammifères. Par exemple, dans la lignée des ruminants (conduisant aux bovins, ovins et cerfs modernes), il y a eu une accélération du réarrangement il y a 66 millions d’années, lorsqu’un impact d’astéroïde a éliminé les dinosaures et entraîné l’essor des mammifères.
Les résultats de cette étude aideront ainsi à comprendre les mécanismes génétiques qui ont permis aux mammifères de s’adapter et de s’épanouir sur notre planète au cours des 180 derniers millions d’années.