Pour la première fois, des climatologues ont compilé un enregistrement complet et de grande précision des diverses variations climatiques de la planète sur 66 millions d’années ! Leur étude met en évidence quatre grands états climatiques distincts, que les chercheurs ont surnommés Hothouse, Warmhouse, Coolhouse et Icehouse.
Une reconstitution aussi complète, sur une aussi longue période, est inédite. Elle permet de mieux comprendre l’origine des variations climatiques passées et ainsi, met en lumière l’impact potentiel des changements climatiques observés de nos jours.
Un climat lié aux variations de l’orbite terrestre
Une grande partie de notre compréhension du climat passé de la Terre provient de la mesure des variations des isotopes de l’oxygène et du carbone dans les foraminifères benthiques — du plancton microscopique à coquille — présents dans les grands fonds océaniques. Cependant, les enregistrements climatiques existants manquent parfois de résolution temporelle à certains endroits ; de ce fait, il est plus difficile de catégoriser en profondeur les états climatiques de l’ère cénozoïque, qui a débuté il y a 66 millions d’années, et d’étudier leur dynamique.
Arborez un message climatique percutant 🌍
Thomas Westerhold, du Center for Marine Environmental Sciences, en Allemagne, et ses collaborateurs présentent aujourd’hui un enregistrement haute résolution et précisément daté des variations de température au cours des 66 millions d’années écoulées. Pour y parvenir, ils ont travaillé sur des carottes de sédiments provenant de bassins océaniques profonds, obtenus dans le cadre du Programme international de découverte des océans (IODP) — un programme international de forage océanique, initié en 2013, dédié à l’étude de la biosphère profonde, des changements climatiques, de la dynamique planétaire et des géorisques.
Après avoir analysé les carottes de sédiments, les chercheurs ont dû établir une « astrochronologie », en faisant correspondre les variations climatiques enregistrées dans les couches de sédiments, avec les variations de l’orbite terrestre (appelées cycles de Milankovitch). Leur reconstruction et leur analyse montrent que le climat de la Terre peut être regroupé en quatre états distincts, séparés par des transitions liées à l’évolution des niveaux de gaz à effet de serre et à la croissance des calottes glaciaires polaires.
Chacun de ces états climatiques majeurs — baptisés Hothouse, Warmhouse, Coolhouse et Icehouse — a persisté pendant des millions et parfois des dizaines de millions d’années. Pour chacun, l’analyse des données climatiques montre des variations rythmiques correspondant aux changements de l’orbite terrestre autour du Soleil ; en effet, l’orbite de la Terre peut varier tant au niveau de son excentricité que de la précession et de l’inclinaison de l’axe de rotation de la planète. « Nous savons depuis longtemps que les cycles glaciaire-interglaciaire sont rythmés par des changements dans l’orbite terrestre, qui modifient la quantité d’énergie solaire atteignant la surface de la Terre », expliquent James Zachos, professeur distingué de sciences de la Terre et des planètes à l’UC Santa Cruz et co-auteur de l’étude.
Les chercheurs remarquent cependant que chaque état climatique a une réponse particulière à ces variations orbitales, entraînant des changements relativement faibles des températures au niveau mondiale par rapport aux changements dramatiques observés entre chaque état climatique.
Vers un retour au climat d’il y a 50 millions d’années !
C’est au milieu des années 1990 que la communauté scientifique est parvenue à relier les variations orbitales à des intervalles de temps anciens. Puis, en 2001, Zachos a dirigé une étude sur la réponse du climat aux variations orbitales sur une période de 5 millions d’années, couvrant le passage de l’oligocène au miocène, il y a environ 25 millions d’années. C’est ainsi que les chercheurs ont entrepris d’utiliser les mêmes méthodes pour remonter jusqu’à la fin du crétacé, soit 66 millions d’années en arrière.
L’enregistrement révèle les tendances passées et futures de la température moyenne mondiale sur les 67 derniers millions d’années. La plupart des transitions climatiques majeures ont été associées à des changements dans les niveaux de gaz à effet de serre : du paléocène à l’éocène, un rejet massif de carbone dans l’atmosphère a conduit à un réchauffement climatique rapide. Puis, à la fin de l’éocène, alors que les niveaux atmosphériques de dioxyde de carbone chutaient, des calottes glaciaires ont commencé à se former en Antarctique et le climat s’est refroidi.
Les données historiques de 1850 à nos jours montrent une nette augmentation des températures, après 1950, marquant le début de l’anthropocène. Les projections futures de la température mondiale, selon trois scénarios, suggèrent que d’ici 2100, l’état du climat sera comparable à l’optimum climatique du miocène (il y a environ 16 millions d’années).
Sur le même sujet : Après 40 ans, des chercheurs publient enfin une estimation plus précise du futur réchauffement climatique
Actuellement, et depuis 3 millions d’années, nous sommes dans une ère climatique « froide », caractérisée par une alternance de périodes glaciaires et interglaciaires. Cependant, les émissions de gaz à effet de serre et autres sources de pollution dues aux activités humaines entraînent désormais la planète vers les états climatiques Warmhouse et Hothouse.
Si les émissions de gaz à effet de serre sont constantes après 2100 et ne sont pas stabilisées avant 2250, le climat mondial d’ici 2300 pourrait probablement entrer dans un état climatique « hothouse », typique du début de l’éocène (il y a environ 50 millions d’années), caractérisé par de multiples événements de réchauffement planétaire et l’absence de calottes glaciaires aux pôles. À cette époque, les températures globales moyennes étaient de 9 à 14°C plus élevées qu’aujourd’hui ! Les auteurs de l’étude sont donc particulièrement pessimistes sur l’avenir : « Les projections du GIEC pour 2300 — dans le cas où l’on ne changerait pas notre comportement — porteront potentiellement la température mondiale à un niveau que la planète n’a pas vu depuis 50 millions d’années », avertit Zachos.