Alors que dans le cadre de la physique classique relativiste le voyage dans le temps est a priori irréalisable, une équipe de l’Académie autrichienne des sciences et de l’Université de Vienne a trouvé le moyen d’influer sur la progression normale du temps au sein d’un système quantique. Les chercheurs affirment pouvoir avancer dans le temps en accélérant certains événements et même reculer dans le temps, grâce aux propriétés uniques des particules quantiques.
À l’échelle subatomique, où s’appliquent les lois de la mécanique quantique, se déroulent des phénomènes particuliers, tels que la superposition, qui implique qu’une particule quantique peut se trouver dans deux états simultanément, ou l’intrication de particules – qui signifie qu’elles présentent des états quantiques dépendant l’un de l’autre, quelle que soit la distance qui les sépare. Du phénomène d’intrication découle la téléportation quantique, qui consiste à transférer l’état quantique d’un système vers un autre. Tous ces aspects de la mécanique quantique posent finalement les bases du voyage dans le temps.
Miguel Navascués et David Trillo, chercheurs à l’Institut d’optique quantique et d’information quantique de l’Académie autrichienne des sciences, ont mené plusieurs études théoriques et expérimentales avec le chercheur Philip Walther et le groupe de physique expérimentale de l’Université de Vienne. L’équipe a démontré l’utilisation d’un interrupteur quantique permettant de ramener un photon à son état d’origine, avant qu’il ne traverse un cristal. « En utilisant une plateforme photonique, nous atteignons une fidélité moyenne de rembobinage de plus de 95% », rapportent les chercheurs dans Optica.
Inverser des changements… sans savoir ce qu’ils étaient
Interrogé par le journal espagnol El País, Miguel Navascués explique la découverte : « Au cinéma, [la physique classique], un film est projeté du début à la fin, peu importe ce que veut le public. Mais à la maison [le monde quantique], nous avons une télécommande pour manipuler le film. Nous pouvons revenir en arrière à une scène précédente ou sauter plusieurs scènes à venir ».
Navascués et ses collaborateurs ont développé ce qu’ils nomment un « protocole de rembobinage » qui permet à une particule — quelles que soient sa nature et ses interactions avec d’autres systèmes — de revenir à un état antérieur. « Nous supposons que le système cible est incontrôlé — nous ignorons comment le système évolue par lui-même ou avec d’autres systèmes que nous pouvons utiliser pour l’influencer. Dans ces circonstances, nous trouvons des protocoles universels dans le cadre de la théorie quantique non relativiste qui remettent le système dans l’état qu’il avait à un moment arbitraire avant que nous commencions à interagir avec lui », expliquait le physicien dans Physical Review X il y a quelques années.
Ces protocoles de « réinitialisation » (ou de réversibilité) envoient séquentiellement des particules quantiques à proximité du système cible et les renvoient dans un laboratoire où elles sont sondées. Si les particules qui reviennent satisfont à une propriété collective spécifique, le système cible retrouve son état antérieur. Dans le cas contraire, il est possible d’exécuter un autre protocole pour annuler à la fois l’évolution naturelle de la cible et les effets des protocoles ayant échoué sur cette dernière.
Cette théorie a récemment mise en pratique via un « commutateur quantique », qui permet de contrôler l’évolution d’un photon traversant un cristal ; les chercheurs ont notamment réussi à inverser l’évolution temporelle d’un seul photon sans savoir comment il changeait dans le temps, ni même quels étaient ses états initial et final. « Ce qui est fascinant, c’est que [les particules] peuvent revenir à un état dont vous ne savez rien. […] Vous pouvez l’exécuter sans connaître le système, sa dynamique interne ou même les détails de l’interaction entre le système et l’expérimentateur », a déclaré Philip Walther au journal espagnol.
Une piste pour accélérer le temps
Le protocole de rembobinage développé par l’équipe est universel : il peut agir sur n’importe quel qubit et le renvoyer à l’état dans lequel il se trouvait avant le début de l’expérience. Il est en outre remarquablement efficace : les chercheurs rapportent une fidélité de rembobinage moyenne supérieure à 95%.
Bien entendu, ceci ne concerne que le monde subatomique et une mise à l’échelle de cette approche semble difficilement réalisable. « Si nous pouvions enfermer une personne dans une boîte sans aucune influence extérieure, ce serait théoriquement possible. Mais avec nos protocoles actuellement disponibles, la probabilité de succès serait très, très faible », a déclaré Navascués. S’ajoute à cela le problème de la quantité d’informations stockées : un photon peut stocker un qubit, mais un être humain contient beaucoup plus d’informations ! Le processus d’inversion prendrait dans ce cas un temps incommensurable.
L’équipe souligne par ailleurs que leur découverte n’est pas assimilable à une machine à remonter le temps : il s’agit de modifier l’état physique d’un système, mais le temps, lui, continue de passer. Ainsi, revenir à l’état d’il y a 5 minutes, nécessitera 5 minutes, tout comme le processus permettant d’amener un système vers un état futur prendra le temps qui nous sépare de ce futur. « Vous ne pouvez pas créer du temps à partir de rien. Pour faire vieillir un système de 10 ans en un an, vous devez obtenir les neuf autres années de quelque part », explique Navascués.
Les chercheurs ont néanmoins fait une découverte qui pourrait permettre d’accélérer le temps : « Nous avons découvert que vous pouvez transférer le temps évolutif entre des systèmes physiques identiques. Dans une expérience d’un an avec dix systèmes, vous pouvez voler un an à chacun des neuf premiers systèmes et les donner tous au dixième », détaille le physicien.
La preuve que les protocoles de rembobinage universels existent et qu’ils sont techniquement réalisables contribue à notre compréhension de la mécanique quantique fondamentale. Ils pourraient devenir un outil utile dans les technologies de l’information quantique, par exemple pour inverser des erreurs ou des développements indésirables. Mais les véritables machines à remonter le temps, elles, resteront du domaine de la science-fiction.