Après avoir effectué des modélisations de l’érosion du sol martien s’étendant sur des milliers d’années, des chercheurs suggèrent que la planète rouge abritait autrefois bien plus de rivières qu’estimé jusqu’ici. D’abondants reliefs de forme atypique, récemment repérés, seraient notamment les vestiges d’anciens lits de rivières sillonnant les cratères. Ces découvertes révèlent un nouvel aspect de l’histoire géologique martienne et constituent de potentielles preuves supplémentaires de l’ancienne habitabilité de la planète.
Des bassins sédimentaires suggérant la présence d’anciens environnements aqueux sont présents sur Mars, à la fois à l’intérieur et entre les cratères. Les crêtes fluviales qui y sont observées constituent des éléments de preuve clés, indiquant que la planète était probablement plus chaude et humide qu’aujourd’hui. Selon les géophysiciens, ces crêtes se seraient formées suite à l’érosion éolienne d’anciennes strates alluviales. Les couches sédimentaires résistantes ont formé les sommets des reliefs tandis que celles plus friables subsistent au niveau des plaines inondables.
Certaines crêtes fluviales martiennes sont si étendues qu’elles sillonnent la planète sur plus de 100 kilomètres et sont détectables sur les images satellites. Cependant, des observations ont précédemment rapporté que l’absence de reliefs en crête n’indique pas nécessairement l’absence de stratigraphies alluviales, ce qui n’est pas cohérent avec les précédentes hypothèses. Des strates alluviales non associées à des crêtes évidentes ont par exemple été identifiées à l’intérieur du cratère de Gale par le rover Curiosity. Cependant, sans ces fameuses formations en crête, les scientifiques ont hésité à les associer à d’anciens environnements aqueux.
Or, « cela suggère qu’il pourrait y avoir des dépôts fluviaux non découverts ailleurs sur la planète, et qu’une partie encore plus grande des archives sédimentaires martiennes aurait pu être construite par les rivières au cours d’une période habitable de l’histoire de Mars », explique l’auteur principal de la nouvelle étude, Benjamin Cardenas, de l’Université d’État de Pennsylvanie (Penn State).
Les nouvelles modélisations, effectuées par Cardenas et ses collègues, confirment que ces strates sont bel et bien les vestiges d’anciens lits de rivières. De tels reliefs étant abondamment présents sur Mars, cela signifierait qu’une grande partie des cratères de la planète abritait autrefois des rivières potentiellement propices à la vie. « Nous avons identifié des preuves que Mars était probablement une planète de rivières. Nous en voyons des signes partout sur la planète ».
Des reliefs fluviaux de forme atypique
Il a précédemment été suggéré que les stratigraphies alluviales dépourvues de crêtes pouvaient donner lieu à des dynamiques d’érosion uniques. Cela est possible en raison de leur structure à double composition, incluant une partie à grains épais et une autre à grains fins.
En analysant la géologie de la formation Carolyn Shoemaker du cratère Gale, Curiosity a identifié deux affleurements présentant des morphologies d’érosion inhabituelles et pouvant être associés à des dépôts alluviaux et des plaines inondables. Ces affleurements forment des reliefs en bancs, notamment des ensembles de pentes abruptes avec une couverture sédimentaire et qui se transforment en aval en bancs moins inclinés (10 à 20° d’inclinaison).
Le rover a également observé les affleurements rocheux du Mont Mercou (également dans le cratère Gale), dont les roches présentes dans les crêtes tronquées situées au-dessus des falaises frontales.
Les chercheurs du Penn State ont émis l’hypothèse selon laquelle ces reliefs résultent de l’érosion de strates fluviales et pourraient être spécifiques à celles remplissant les cratères. En effet, les vents générés au niveau des cratères sont unidirectionnels à certains endroits et peuvent provoquer des érosions conséquentes. Ce phénomène a déjà été observé sur Terre et y est connu pour avoir influencé la topographie de nombreux paysages.
Afin de corroborer leur hypothèse, les chercheurs du Penn State ont modélisé et cartographié l’érosion de l’ancien sol martien sur plusieurs milliers d’années, en entraînant un modèle informatique sur une combinaison de données satellites, d’images prises par Curiosity et de représentations tridimensionnelles de la stratigraphie sédimentaire du fond marin du golfe du Mexique. Ces dernières ont été collectées sur une période de 25 ans par des compagnies pétrolières et constituent d’excellents modèles comparatifs pour la géologie du sol martien. L’ensemble a ensuite été soumis à une gamme de conditions environnementales martiennes susceptibles d’avoir eu lieu au niveau du cratère.
Les modélisations ont montré qu’au fil des années, les paysages martiens érodés présentaient des reliefs en nez et en bancs presque similaires à ceux rapportés par Curiosity, plutôt que des crêtes fluviales. Cela signifierait que le paysage martien actuel est le résultat d’une histoire géologique active et suggère une vision où la majeure partie de la planète aurait pu autrefois disposer de conditions propices à la vie. « Sur Terre, les couloirs fluviaux sont très importants pour la vie, les cycles chimiques, les cycles des nutriments et les cycles des sédiments. Tout indique que ces rivières se comportent de la même manière sur Mars », conclut Cardenas. Les résultats de l’étude sont disponibles dans la revue Geophysical Research Letters.