Le contrôle de la pandémie de SARS-CoV-2 est mis en péril par l’émergence de variantes virales avec une efficacité de transmission accrue, une résistance aux anticorps thérapeutiques actuellement utilisés, ainsi qu’une sensibilité réduite à l’immunité induite par le vaccin. Mais des chercheurs du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) ont peut-être trouvé le moyen d’écarter la menace : ils ont découvert un anticorps monoclonal capable de neutraliser toutes les variantes virales, y compris le variant delta.
Depuis son apparition fin 2019, la pandémie de COVID-19 a causé la mort de plus de 4,8 millions de personnes dans le monde. En outre, 5 à 10% des individus symptomatiques, y compris les jeunes adultes, ont des conséquences à long terme suite à l’infection. Très vite, le virus s’est mis à muter, notamment au niveau de sa protéine de pointe (Spike), en particulier dans le domaine de liaison au récepteur ACE2 des cellules humaines (noté RBD). Le variant B.1.1.7 (aujourd’hui alpha), puis le variant B.1.351 (bêta) et le P1 (gamma), apparus fin 2020, se font plus transmissibles et diminuent l’efficacité des anticorps.
Les autorités de santé recensent à ce jour quatre variants préoccupants (alpha, bêta, gamma et delta) et deux variants à suivre (lambda et mu) ; d’autres sont en cours d’évaluation. Les mutations portées par ces variants entraînent une affinité accrue du virus pour le récepteur ACE2 et/ou une reconnaissance réduite par les anticorps neutralisants. En conséquence, ces variants ont entraîné une résurgence de l’infection dans plusieurs régions du monde, où l’on a même relevé des cas de réinfection.
Une efficacité prouvée sur l’ensemble des variants
Depuis le déploiement à grande échelle des vaccins anti-COVID-19, on observe une diminution du nombre de cas et de décès — alors même que le variant delta est majoritaire dans l’Hexagone. Mais pour les individus incapables de développer une réponse immunitaire humorale efficace suite à une vaccination (en raison d’une immunodéficience ou d’une immunosuppression, inhérente à une maladie ou un traitement), le risque persiste. Pour ces patients particuliers, de même que pour les patients atteints d’une forme sévère de COVID-19, les anticorps monoclonaux présentent un fort potentiel thérapeutique.
Pour isoler ce nouvel anticorps, les chercheurs ont examiné une cohorte d’une quarantaine de patients COVID-19 hospitalisés. Trois mois environ après l’infection, ils ont prélevé des échantillons de sang de huit de ces sujets présentant les taux les plus élevés d’anticorps anti-immunoglobuline (IgG) anti-Spike ; ils ont ensuite isolé, puis analysé les propriétés de liaisons d’une dizaine d’anticorps monoclonaux, en tenant compte des différentes mutations de la protéine Spike identifiées jusqu’à présent. En parallèle, les anticorps monoclonaux REGN1033, REGN10987 et S309 — tous trois utilisés actuellement — ont été testés comme références.
Lors d’expériences in vitro, mais aussi in vivo — réalisées sur des hamsters exposés à une dose hautement infectieuse de virus —, l’anticorps nommé P5C3 s’est montré efficace sur l’ensemble des variantes virales ; il présentait l’affinité la plus élevée et sans perte significative de liaison pour aucune des variantes de protéine de pointe testées ; les trois références ont, quant à elles, montré une affinité de liaison réduite pour certaines mutations.
P5C3 est donc l’un des plus puissants anticorps monoclonaux identifiés à ce jour contre le SARS-CoV-2. En effet, il se lie à la protéine de pointe du virus à un endroit qui n’est pas sujet aux mutations ; il est ainsi capable de bloquer efficacement la liaison de cette protéine aux cellules humaines exprimant les récepteurs ACE2 (qui sont la cible du virus). Par conséquent, son action conduit à l’arrêt de la réplication virale et à l’élimination du virus par le système immunitaire.
Une activité neutralisante puissante et durable
Lors des tests, P5C3 a affiché l’activité neutralisante la plus puissante contre les pseudovirus 2019-nCoV recouverts de la protéine de pointe. Il a affiché une neutralisation tout aussi forte de toutes les mutations testées, y compris la substitution E484K qui est une mutation clé trouvée dans les variants B.1.351 et P.1, et la nouvelle variante B1.526 identifiée à New York, précisent les chercheurs dans leur article.
Non seulement P5C3 affiche une efficacité sans précédent, mais les chercheurs ont fait en sorte qu’il ait une action prolongée, de quatre à six mois (par comparaison, un anticorps classique non modifié reste efficace pendant trois à quatre semaines maximum). De ce fait « il devient une option préventive très intéressante pour protéger les personnes vulnérables non vaccinées ou les personnes vaccinées incapables de produire une réponse immunitaire », peut-on lire dans le communiqué de l’EPFL. Ces personnes pourront en effet être protégées par simple injection de cet anticorps, deux à trois fois par an.
Le développement de ce nouvel anticorps neutralisant marque donc une nouvelle étape dans la lutte contre la pandémie et pourrait ouvrir la voie à une meilleure prise en charge des formes sévères de la maladie ; mais surtout, il permet d’envisager de nouvelles mesures prophylactiques, notamment pour les personnes au système immunitaire affaibli.
Les essais cliniques sur l’Homme doivent démarrer fin 2022 ; le CHUV et l’EPFL sont en discussion avec une start-up qui aura pour mission d’assurer la production et le développement clinique des anticorps. « Cette découverte n’a cependant pas vocation à remplacer la vaccination, qui reste le moyen le plus efficace de se protéger contre l’infection », rappelle le communiqué.