Pour la première fois, une équipe internationale de physiciens a démontré qu’il était possible d’identifier et de manipuler de petits nombres de photons en interaction. Cette réalisation sans précédent représente une étape importante dans le développement des technologies quantiques. Elle pourrait notamment révolutionner l’imagerie médicale et contribuer au développement d’ordinateurs quantiques plus robustes.
En observant l’interaction de la lumière avec la matière il y a plus d’un siècle, les scientifiques ont découvert que la lumière n’était ni un faisceau de particules ni une onde d’énergie, mais qu’elle présentait les deux caractéristiques, ce que l’on appelle « la dualité onde-particule » — une particularité qui peut être mise en évidence via la célèbre expérience des fentes de Young. La façon dont la lumière interagit avec la matière continue de fasciner les scientifiques et donne lieu à d’importantes applications pratiques, en informatique, en astronomie, en recherche médicale (imagerie) ou encore dans les technologies de communication.
L’émission stimulée de lumière, postulée par Einstein en 1916, décrit le processus de désexcitation d’un électron qui se produit lorsque l’on illumine un atome avec une lumière ayant une longueur d’onde correspondant à l’énergie de transition entre les deux états électroniques. Ce processus est à la base du fonctionnement des lasers. Pour la première fois, cette émission stimulée a été observée pour des photons uniques. « Cela ouvre la voie à la manipulation de ce que nous pouvons appeler la « lumière quantique »», a déclaré le Dr Sahand Mahmoodian, de l’École de physique de l’Université de Sydney et co-auteur principal de la recherche.
Des mesures plus précises, avec moins de photons
Les photons, qui sont des « paquets » d’énergie lumineuse, n’interagissent pas facilement entre elles. Cette propriété est particulièrement utile pour communiquer sur de longues distances via des fibres optiques, car elle permet un transfert d’informations à la vitesse de la lumière presque sans distorsion. L’interaction entre les photons est cependant souhaitée dans certains cas, tel qu’au sein des interféromètres, qui permettent de mesurer d’infimes variations de distance.
Dans un interféromètre, la lumière est émise d’une source unique, puis scindée en deux faisceaux parcourant chacun un trajet différent, avant d’être combinés à nouveau pour produire une interférence ; les motifs d’interférence permettent de déduire les différences de longueur des deux chemins optiques parcourus. Ces instruments sont utilisés aujourd’hui dans de nombreux contextes : pour l’imagerie médicale, l’océanographie, la spectrométrie, ou encore en astrophysique — les installations LIGO et Virgo étant deux interféromètres géants spécialement conçus pour détecter les ondes gravitationnelles.
Bien qu’extrêmement sophistiqués, ces instruments ont une sensibilité limitée par les lois de la mécanique quantique — une limite fixée entre la sensibilité à laquelle une mesure peut être réalisée et le nombre moyen de photons dans l’appareil de mesure. La lumière dite « quantique » présente une limite différente de la lumière laser classique : en principe, elle présente l’avantage de pouvoir effectuer des mesures plus sensibles avec une meilleure résolution, en utilisant moins de photons.
Ceci peut être particulièrement intéressant pour les applications en microscopie biologique, qui impliquent d’observer de minuscules détails et où de fortes intensités lumineuses peuvent endommager les échantillons.
Un premier pas vers l’utilisation pratique de la lumière quantique
Les chercheurs ont donc mis au point un dispositif de mesure à base de lumière quantique. « Le dispositif que nous avons construit induit des interactions si fortes entre les photons que nous avons pu observer la différence entre l’interaction d’un photon et celle de deux photons », précise la Dre Natasha Tomm, chercheuse à l’Université de Bâle et co-auteure de l’étude. Plus précisément, les scientifiques ont pu observer et mesurer le délai dépendant du nombre de photons dans la diffusion d’un seul atome artificiel — un point quantique semi-conducteur couplé à une cavité optique.
Le photon unique était retardé plus longtemps que les deux photons, devenus intriqués de par la forte interaction photon-photon. « Les photons uniques et les états liés à deux et trois photons ont des délais différents, qui deviennent plus courts lorsque le nombre de photons est plus élevé. Ce délai réduit est une empreinte de l’émission stimulée, où l’arrivée de deux photons pendant la durée de vie d’un émetteur fait qu’un photon stimule l’émission d’un autre », expliquent les chercheurs dans Nature Physics.
L’équipe a ainsi démontré qu’il était possible de manipuler et d’identifier des états photoniques hautement corrélés dans le temps, ce qu’elle considère comme « un premier pas essentiel vers l’exploitation de la lumière quantique à des fins pratiques ». La Dre Tomm souligne que cette expérience valide non seulement le concept d’émission stimulée à sa limite ultime, mais représente un énorme pas technologique : selon elle, il est possible d’appliquer les mêmes principes pour développer des dispositifs plus efficaces qui fournissent des états liés de photons.
Le Dr Mahmoodian a déclaré que les prochaines étapes consisteront à déterminer comment cette approche peut être utilisée pour générer des états de la lumière utiles à l’informatique quantique tolérante aux pannes — un objectif que cherchent aussi à atteindre des entreprises telles que PsiQuantum et Xanadu.