Depuis le début de l’émergence du coronavirus SARS-CoV-2, les virologues et immunologistes se sont attachés à comprendre en détail les mécanismes d’infection utilisés par le virus. Mieux comprendre ces mécanismes est essentiel pour identifier les potentielles pistes de vaccin et traitement à développer afin de lutter au mieux contre la propagation virale. C’est dans cet objectif qu’une équipe interdisciplinaire de l’université de San Diego a commencé, il y a deux mois, à développer une cartographie complète des interactions du virus avec les protéines cellulaires humaines. Et ces résultats ont porté leurs fruits : les chercheurs ont identifié, et testé, 47 médicaments déjà existants et autorisés agissant sur le virus. Bien que les essais de ces médicaments aient été menés uniquement sur des singes pour le moment, des essais cliniques humains sont maintenant programmés.
La carte montre toutes les protéines du coronavirus et toutes les protéines présentes dans le corps humain avec lesquelles ces protéines virales pourraient interagir. En théorie, toute intersection sur la carte entre les protéines virales et humaines offre une place à des médicaments pour combattre le coronavirus. Mais au lieu d’essayer de développer de nouveaux médicaments pour travailler sur ces points d’interaction, certains chercheurs se sont tournés vers plus de 2000 médicaments déjà approuvés par la FDA pour un usage humain.
Ils pensaient que quelque part sur cette longue liste se trouveraient quelques médicaments ou composés qui interagissent avec les mêmes protéines humaines que le coronavirus. Et ils avaient raison. L’équipe multidisciplinaire de chercheurs de l’Université de Californie à San Francisco, appelée QCRG, a identifié 69 médicaments et composés existants susceptibles de traiter le COVID-19.
47 médicaments testés sur des cellules de singe contre le coronavirus
Il y a un mois, ils ont commencé à expédier des boîtes de ces médicaments à l’Institut Pasteur à Paris et au mont Sinaï à New York pour voir s’ils combattaient effectivement le coronavirus. Au cours des quatre dernières semaines, ils ont testé 47 de ces médicaments et composés en laboratoire contre des coronavirus. Ils ont identifié des pistes de traitement solides ainsi que deux mécanismes distincts pour la façon dont ces médicaments agissent contre l’infection par le SARS-CoV-2.
L’équipe a utilisé des cellules de singe vert d’Afrique, qui sont fréquemment utilisées à la place des cellules humaines pour tester les médicaments antiviraux. Ils peuvent être facilement infectés par le coronavirus et répondent très étroitement aux médicaments comme le font les cellules humaines.
Après avoir infecté ces cellules de singe avec le coronavirus, des chercheurs à Paris et à New York ont utilisé les médicaments identifiés, tout en gardant un groupe contrôle. Ils ont ensuite mesuré la quantité de virus dans les échantillons et le nombre de cellules vivantes. Si les échantillons traités par médicaments montraient une charge virale inférieure et plus de cellules vivantes par rapport au contrôle, cela suggérerait que les médicaments perturbent la réplication virale.
Les équipes cherchaient également à voir à quel point les médicaments étaient toxiques pour les cellules. Après avoir trié les résultats de centaines d’expériences utilisant 47 des médicaments prévus, il semble que leurs prédictions sur les interactions étaient correctes. Certains médicaments agissent en fait pour combattre le coronavirus, tandis que d’autres rendent les cellules plus sensibles aux infections. Il est extrêmement important de se rappeler que ces résultats sont préliminaires et n’ont pas été testés chez l’Homme.
Perturber le mécanisme de réplication virale
Mais les résultats sont intéressants pour deux raisons. Non seulement les auteurs ont identifié des médicaments individuels qui semblent prometteurs pour lutter contre le coronavirus ou qui peuvent rendre les gens plus sensibles à ce virus. En outre, ils ont identifié deux groupes de médicaments qui affectent le virus et le font de deux manières différentes, dont l’une n’a jamais été décrite jusqu’à maintenant.
Basiquement, les virus se propagent en entrant dans une cellule, en détournant une partie de la machinerie de la cellule et en l’utilisant pour faire plus de copies du virus. Ces nouveaux virus infectent ensuite d’autres cellules. Une étape de ce processus implique que la cellule fabrique de nouvelles protéines virales à partir d’ARN viral. C’est ce qu’on appelle la traduction.
En parcourant la carte, les auteurs ont remarqué que plusieurs protéines virales interagissaient avec des protéines humaines impliquées dans la traduction et un certain nombre de médicaments interagissaient avec ces protéines. Après les avoir testés, ils ont trouvé deux composés qui perturbent la traduction du virus.
Les deux composés sont appelés ternatine-4 et zotatifine. Ces deux substances sont actuellement utilisées pour traiter le myélome multiple et semblent combattre le COVID-19 en se liant aux protéines de la cellule et en inhibant celles qui sont nécessaires à la traduction. La plitidepsine est une molécule similaire à la ternatine-4 et fait actuellement l’objet d’un essai clinique pour traiter le COVID-19. Le deuxième médicament, la zotatifine, neutralise une protéine différente impliquée dans la traduction.
Inhiber ou modifier l’interaction virale avec les récepteurs Sigma
Le deuxième groupe de médicaments identifié fonctionne d’une manière entièrement différente. Les récepteurs cellulaires se trouvent à l’intérieur et à la surface de toutes les cellules. Ils agissent comme des commutateurs spécialisés. Lorsqu’une molécule spécifique se lie à un récepteur spécifique, cela indique à une cellule d’effectuer une tâche précise. Les virus utilisent souvent des récepteurs pour infecter les cellules.
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La carte a identifié deux récepteurs prometteurs de cellules MV pour les traitements médicamenteux, SigmaR1 et SigmaR2. Les tests ont confirmé les soupçons des chercheurs. Ils ont identifié sept médicaments ou molécules qui interagissent avec ces récepteurs. Deux antipsychotiques, l’halopéridol et la mélpérone, qui sont utilisés pour traiter la schizophrénie, ont montré une activité antivirale contre le SARS-CoV-2.
Deux antihistaminiques puissants, la clémastine et la clopérastine, ont également montré une activité antivirale, tout comme le composé PB28 et l’hormone féminine progestérone. À l’heure actuelle, les chercheurs ne savent pas exactement comment les protéines virales manipulent les récepteurs SigmaR1 et SigmaR2. Ils pensent que le virus utilise ces récepteurs pour aider à faire des copies de lui-même, donc la diminution de leur activité inhibe probablement la réplication et réduit l’infection.
Phase préliminaire des tests et possible inefficacité de l’hydroxychloroquine
Fait intéressant, un septième composé — un ingrédient que l’on trouve couramment dans les antitussifs, appelé dextrométhorphane — fait le contraire : sa présence aide le virus. Lorsque des chercheurs ont testé des cellules infectées avec ce composé, le virus a pu se répliquer plus facilement et plus de cellules sont mortes.
Un autre fait intéressant à noter est que l’hydroxychloroquine — le médicament controversé qui a montré des résultats mitigés dans le traitement du COVID-19 — se lie également aux récepteurs SigmaR1 et SigmaR2. Mais sur la base des expériences menées dans les deux laboratoires, les chercheurs ne pensent pas que l’hydroxychloroquine s’y lie efficacement.
Les biochimistes savent depuis longtemps que l’hydroxychloroquine se lie facilement aux récepteurs du cœur et peut causer des dommages. En raison de ces différences dans les tendances de liaison, les auteurs ne pensent pas que l’hydroxychloroquine soit un traitement fiable. Les essais cliniques en cours devraient bientôt clarifier ces incertitudes.
Toutes ces découvertes, bien que prometteuses, doivent être soumises à des essais cliniques avant que la FDA ou quiconque ne conclue s’il faut prendre ou arrêter de prendre l’un de ces médicaments en réponse au COVID-19. Ni les populations, ni les décideurs, ni les médias ne devraient paniquer et tirer des conclusions hâtives.