Chaque jour, nos yeux sont soumis à une multitude de stimuli lumineux. Chaque couleur, chaque rayon de soleil, chaque écran numérique consulté, infligent un choc aux tissus sensibles à la lumière situés à l’arrière de nos yeux, produisant des composés toxiques qui menacent les cellules impliquées dans la vision. Récemment, des scientifiques ont mis en évidence un mécanisme de défense fascinant, basé sur la chimie quantique, qui protège nos yeux contre la perte d’acuité visuelle. Une voie d’espoir dans la recherche de traitements contre la dégénérescence maculaire liée à l’âge.
La rétine, cette couche de cellules réactives à la lumière qui tapisse la paroi arrière de nos yeux, est le théâtre d’un processus biochimique étonnant. Concrètement, chaque cellule de la rétine contient des disques remplis d’une substance appelée rétinal, qui capte les photons et déclenche une chaîne de réactions aboutissant à un signal nerveux que le cerveau interprète comme une image.
Cependant, la première étape de ce processus de conversion est potentiellement dangereuse : le rétinal se transforme en une substance qui interfère avec les fonctions de la cellule, devenant ainsi une toxine. L’évolution a muni notre œil d’un mécanisme lui permettant de se prémunir de cet effet néfaste. Des enzymes remettent le rétinal dans sa forme inoffensive.
De plus, l’œil recycle constamment les piles de disques usagés d’un côté, et en introduit de nouveaux, sensibles à la lumière, de l’autre. Néanmoins, ce processus, bien qu’efficace, est loin d’être parfait. Chez les personnes atteintes d’une maladie rare appelée maladie de Stargardt, une seule enzyme déficiente provoque une accumulation de produits toxiques qui entraîne une perte de vision claire dans la zone focale de la rétine.
Même chez les individus dont l’ensemble d’enzymes fonctionne aussi efficacement que possible, une lacune dans le processus de dégradation risque de permettre à un autre composé potentiellement dangereux, appelé lipofuscine, de s’accumuler et de former des amas dangereux. Là encore, l’évolution a une réponse, apparemment sous la forme du pigment foncé, la mélanine, qui a été observée en combinaison avec les granules de lipofuscine dans les rétines d’individus plus âgés.
Récemment, des chercheurs de l’Université de Tübingen en Allemagne et de l’Université Yale ont révélé que la mélanine exploite un comportement quantique pour éliminer la lipofuscine avant qu’elle ne s’accumule en amas dangereux. Leur étude est publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences.
De la mélanine pour protéger nos yeux
La mélanine, ce pigment responsable de l’assombrissement de nos cheveux, de notre peau et de nos yeux, joue un rôle crucial dans la protection de notre vision. Elle utilise un processus appelé chimioexcitation, qui permet à ses électrons d’atteindre des niveaux d’énergie plus élevés que ceux généralement permis.
Ce comportement permet de produire des radicaux d’oxygène nécessaires pour décomposer la lipofuscine. Douglas E. Brash, radiologue thérapeutique à Yale et co-auteur de l’étude, explique dans un communiqué : « Ces réactions de chimie quantique excitent un électron de la mélanine à un état d’énergie élevé et inversent son spin, permettant une chimie inhabituelle par la suite ».
L’âge met à mal le potentiel de la mélanine
Mais l’efficacité de la mélanine peut diminuer avec l’âge, comme beaucoup d’autres molécules et fonctions de notre corps. Ainsi, au fil du temps, ces agrégats de lipofuscine peuvent causer la détérioration des tissus, conduisant à une forme plus courante de déficience visuelle, la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA).
La DMLA est la principale cause de perte de vision dans les pays occidentaux. Elle consiste en une détérioration de la vision centrale, qui commence lorsque des gouttelettes de lipides et de protéines appelées lipofuscine s’accumulent dans la rétine et endommagent les cellules.
Les chercheurs espèrent que cette découverte pourrait être appliquée à la recherche de médicaments pouvant servir d’alternative à la mélanine chez les individus vieillissants, décomposant la lipofuscine avant qu’elle ne puisse causer des ravages dans les tissus rétiniens.
Ulrich Schraermeyer, auteur principal de l’étude et ophtalmologiste expérimental à l’Université de Tübingen, souligne : « La chimioexcitation est le chaînon manquant, et elle devrait nous permettre de contourner le problème que la DMLA amène lorsque la mélanine de l’œil diminue avec l’âge. Un médicament qui est directement ‘chimioexcité’ pourrait être une percée pour nos patients ».
La chimie quantique qui se déroule à l’intérieur de nos yeux joue un rôle crucial dans la protection de notre vision. En comprenant mieux ces mécanismes, nous pourrions être en mesure de développer de nouvelles stratégies afin de prévenir et traiter des maladies oculaires telles que la DMLA. La nature a doté nos yeux d’un système de défense complexe et fascinant, nous sommes maintenant en capacité de le comprendre et de l’exploiter pour améliorer notre vision, si rudement mise à mal par notre société ultra connectée.