Nous partageons 98% de nos gènes avec les chimpanzés, une des espèces animales les plus intelligentes au monde, et qui ne finit pas de nous étonner par ses comportements si proches des nôtres. Ces primates non humains pansent leurs plaies et celles de leurs congénères avec des insectes ! C’est la première fois que l’application topique est observée en automédication animale. Cette découverte apporte des preuves supplémentaires vis-à-vis des comportements d’entraide désintéressés. Lumière sur ces découvertes étonnantes.
On connait, depuis plus de 20 ans, les possibilités d’automédication chez les animaux et les insectes, à l’image des abeilles plaçant de la résine aux propriétés antimicrobiennes dans la ruche. L’automédication fait référence au processus par lequel un hôte supprime, ou prévient, les effets délétères du parasitisme et autres causes de maladie, par des moyens comportementaux.
Jusque-là, la majorité des cas d’automédication concernaient l’ingestion de parties de plantes ou de substances non nutritionnelles pour combattre ou contrôler les parasites intestinaux. Plus récemment, la consommation par les chimpanzés d’une dizaine de plantes différentes, capables de limiter la prolifération du Plasmodium, parasite à l’origine du paludisme, a pu être établie par la primatologue Sabrina Krief.
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Des comportements sans ambiguïtés, empreints d’empathie
En novembre 2019, Alessandra Mascaro, travaillant sur le projet Ozouga Chimpanzee au parc national de Loango, a observé et filmé une femelle chimpanzé nommée Suzee, soignant le pied blessé de son fils, Sia. De façon inattendue, elle remarqua que Suzee prenait quelque chose entre ses lèvres et l’appliquait sur la plaie ouverte. Lors de l’analyse des vidéos, Mascaro et ses collègues ont réalisé que Suzee avait placé un insecte sur la blessure de Sia.
Le primatologue Tobias Deschner et la biologiste cognitive Simone Pika de l’Université d’Osnabrück estiment que cette observation prouve que les chimpanzés ont la capacité d’adopter des comportements prosociaux associés à l’empathie, comme chez les humains.
Par la suite, l’équipe observe, jusqu’en février 2021, de nombreuses autres situations similaires, dont le contexte est sans ambigüité. Les blessures étant des plaies ouvertes, l’application d’insectes était clairement visible. Au total, ils ont observé le comportement de 22 chimpanzés. Dans 19 cas, ils attrapaient un petit insecte, le pressaient entre leurs lèvres, puis le frottaient sur leurs propres plaies à l’aide de leurs lèvres ou de leurs doigts avant de le retirer.
Les trois autres cas présentaient un chimpanzé appliquant des insectes sur les blessures d’un congénère. Ce dernier se laissait faire sans protester. Les plaies, parfois larges de plusieurs centimètres, peuvent résulter de conflits entre les individus du groupe, ou avec d’autres groupes voisins.
Les chimpanzés du parc national de Loango sont suivis par des scientifiques depuis 7 ans, mais un tel comportement n’avait jamais été observé auparavant. « Nous avons été témoins de quelque chose de vraiment incroyable », déclare S. Pika dans un communiqué.
Ces découvertes alimentent le débat concernant l’existence de comportements prosociaux chez les espèces non humaines et la notion d’empathie. Cette dernière implique de se préoccuper des états émotionnels d’autrui et de tenter de les améliorer. Elle peut être une composante des comportements prosociaux. Ceux-ci font référence à des actions destinées à bénéficier à autrui, sans avantage pour le donneur. Par exemple, des rats, au cours d’une situation artificielle en laboratoire, ont préféré libérer un congénère plutôt que d’atteindre la nourriture.
Les comportements prosociaux posent un problème de taille à la théorie évolutive. Comment expliquer la présence et la persistance d’un comportement pouvant être coûteux pour l’individu qui le produit, dans un contexte de sélection naturelle ? Les chimpanzés sont, depuis longtemps, étudiés pour résoudre ce débat. Effectivement, ils participent à une variété d’activités utilisant la coopération, telles que la surveillance et la défense du territoire, ainsi que la chasse coopérative.
Par conséquent, ces nouvelles observations peuvent ajouter une facette au débat en cours sur les comportements prosociaux et inspirer de futures études sur les comportements entourant le soin des plaies. « Pour moi, c’est particulièrement intéressant parce que beaucoup de gens doutent des capacités prosociales des animaux non humains. Et là, nous avons un bel exemple d’une espèce où nous voyons des individus se soucier des autres », explique S. Pika.
Étudier ce comportement chez les chimpanzés, un bénéfice pour la santé humaine ?
Étudier l’automédication chez les primates permet parfois de découvrir les bienfaits thérapeutiques de certaines plantes, que l’on ne soupçonnait pas. C’est l’objet d’un champ de recherches en plein essor : la zoopharmacognosie, ou l’étude des substances naturelles consommées par les animaux à des fins thérapeutiques.
L’équipe de recherche veut maintenant établir quels insectes les chimpanzés utilisent et quelles sont leurs propriétés médicinales. Vraisemblablement, il pourrait s’agir d’un insecte volant, vu le mouvement rapide effectué par les chimpanzés pour l’attraper. Les auteurs suggèrent que cet insecte ait soit des propriétés apaisantes ou anti-inflammatoires, soulageant la douleur, soit une dimension réconfortante (analogue au bisou magique pour les enfants), faisant partie de la culture locale des chimpanzés.
D’autres recherches systématiques sont nécessaires pour élucider l’efficacité du traitement, associé à une amélioration de la cicatrisation des plaies et l’identification des espèces d’insectes utilisées. La dimension sociale du comportement devra être précisée, ainsi que les processus d’apprentissage social permettant sa transmission au sein du groupe.