La prochaine « capitale » de la recherche en physique des hautes énergies pourrait bien se situer en Asie si l’un ou l’autre des deux grands projets d’accélérateur de particules est réalisé. Lors d’un atelier organisé la semaine dernière à Beijing, des scientifiques chinois ont dévoilé le concept complet du collisionneur électron-positron circulaire (CEPC). Il s’agit d’une machine dont le coût s’élève à 5 milliards de dollars (4.4 milliards d’euros), destinée à relever les prochains défis de la physique des particules, dont l’étude approfondie du boson de Higgs.
Le projet avait partiellement été révélé cet été. Les équipes sont maintenant sur le point d’élaborer les plans détaillés de la structure, afin de pouvoir débuter les travaux de construction en 2022. Le lancement officiel quant à lui, devrait avoir lieu vers 2030. Mais avant cela, il faut que le gouvernement chinois accepte de le financer.
Dans le même temps, le gouvernement japonais doit décider, d’ici la fin du mois de décembre, si le pays hébergera ou non une machine tout aussi coûteuse pour étudier le boson de Higgs : il s’agit du collisionneur linéaire international (ILC). L’impact de la décision du Japon sur la Chine, dans quelques années, n’est pas encore claire. Mais il semble de plus en plus probable que la plupart des recherches futures autour du célèbre boson se fassent en Asie. En effet, les projets similaires proposés en Europe sont prévus pour dans des décennies. Quant aux États-Unis, ils n’ont pas encore de projets sérieux.
Le boson de Higgs, la clé pour expliquer le gain de masse d’autres particules, a été découvert au CERN il y a maintenant des années (2012), plus de 40 ans après avoir été prédit théoriquement. Les scientifiques veulent maintenant confirmer les différentes propriétés de la particule, son interaction avec d’autres particules et déterminer si elle contribue à la matière noire.
Ne possédant qu’une masse, mais dépourvu de spin et de charge, le boson de Higgs est vraiment un « nouveau type » de particule élémentaire, qui est à la fois « une partie spéciale du modèle standard » et un « annonciateur de certains nouveaux principes profonds », déclare Nima Arkani-Hamed, théoricien à l’Institute for Advanced Study de Princeton, dans le New Jersey (États-Unis). Répondre aux questions les plus importantes de la physique des particules aujourd’hui « implique d’étudier le boson de Higgs jusqu’à la mort », dit-il.
« Les physiciens veulent au moins une machine », déclare Joao Guimaraes da Costa, physicien à l’Institut de physique de la haute énergie de l’Académie des sciences de Chine, qui a élaboré la proposition chinoise.
« Idéalement, les deux devraient être construits, car chacun a ses mérites scientifiques » ajoute Hitoshi Murayama, physicien théoricien à l’Université de Californie à Berkeley et à l’Institut Kavli de l’Université de Tokyo, à Kashiwa (Japon).
La découverte du CERN s’appuie sur le Large Hadron Collider (LHC), composé d’un anneau de 27 kilomètres dans lequel des protons de haute énergie se déplaçent dans des directions opposées, dans le but de donner lieu à des collisions frontales. Cela permet l’apparition de nombreux types de particules, obligeant les physiciens à passer au crible des milliards d’événements pour repérer le signal d’un boson de Higgs.
Briser des électrons afin d’obtenir leurs homologues d’antimatière, les positrons, génère des collisions plus propres, qui produisent généralement à la fois une particule Z et un boson de Higgs, explique Bill Murray de l’Université de Warwick à Coventry (Royaume-Uni). La décomposition des particules Z est bien comprise, de sorte que d’autres signaux peuvent être attribués aux bosons de Higgs, « et nous pouvons ainsi voir ce qu’ils provoquent », explique Murray.
Le plan du Japon visant à construire un collisionneur électron-positron est issu des enquêtes internationales menées dans les années 90. Les physiciens étaient favorables à un système linéaire, dans lequel les particules sont envoyées dans deux tunnels opposés et en ligne droite, se rejoignant comme des balles dans des fusils joints bout à bout. Cette conception promet des énergies plus élevées, car elle évite les pertes résultant de l’envoi de particules chargées dans un circuit circulaire, ce qui les fait perdre de l’énergie sous forme de rayons X. Mais l’inconvénient est que les particules qui n’entrent pas en collision sont perdues ; dans un système circulaire, ces dernières continuent à se déplacer dans l’anneau, jusqu’à ce qu’elles puissent entrer en collision.
En cours de route, le Japon a fait savoir qu’il pourrait héberger le collisionneur, et même assumer la majorité des coûts. D’autres pays fourniront des détecteurs ainsi que d’autres composants. Une conception de base datant de 2013 prévoyait un collisionneur linéaire de 500 giga-électron-volt (GeV), dans un tunnel de 31 kilomètres. Le coût était estimé à environ 8 milliards de dollars, main-d’œuvre non comprise.
« Mais à ce moment-là, l’équipe du CERN avait déjà déterminé la masse du boson de Higgs à 125 GeV, ce qui rendait la conception de l’ILC « exagérée » » déclare Murayama. « Le groupe a depuis revu son plan en vue d’un accélérateur de 250 GeV, logé dans un tunnel de 20 km et coûtant 5 milliards de dollars », ajoute Murayama, qui est également directeur adjoint du Linear Collider Collaboration, qui coordonne les travaux de R&D des futurs collisionneurs à l’échelle mondiale.
Les scientifiques de l’IHEP (Institute of High Energy Physics) ont fait leur propre proposition deux mois à peine après l’annonce du boson de Higgs. Ils ont reconnu que l’énergie requise pour une « usine à Higgs » « est toujours dans une gamme où un schéma de construction circulaire est plus avantageux » a déclaré Murray. Avec ses lignes de faisceau enfouies dans un tunnel de 100 km de circonférence, le CEPC ferait entrer en collision électrons et positrons avec une énergie allant jusqu’à 240 GeV.
Les deux approches ont leurs avantages. Le CEPC produira des bosons de Higgs à un taux environ cinq fois supérieur à celui du programme ILC, permettant ainsi aux chercheurs de progresser plus rapidement. Mais Murayama note que l’ILC pourrait facilement être mis à niveau vers des énergies plus élevées en prolongeant le tunnel de quelques kilomètres supplémentaires.
Il reste à voir si les politiciens et les agences de financement sont en accord. La construction du CEPC dépend du financement du prochain plan quinquennal chinois, qui débutera en 2021, a déclaré le directeur de l’IHEP, Wang Yifang. L’IHEP chercherait alors également des contributeurs internationaux.
Murayama a également déclaré que le Japon devait dire oui à la CIT suffisamment à temps pour négocier le soutien de l’Union européenne dans le cadre d’une stratégie sur la physique des particules, qui sera élaborée en 2019. Si le Japon ne profite pas de cette occasion, cela pourrait retarder la construction du collisionneur de 20 ans, laissant donc le champ libre à la Chine.