Le christianisme aurait introduit les tatouages faciaux chez les très jeunes enfants dans la vallée du Nil

Une évolution de pratique témoignant d’un changement culturel profond.

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Reconstitution d'un tatouage sur le front d'une fillette de 3 ans (datant d'entre 657-855 de notre ère) de Kulubnarti. | Mary Nguyen. 2025 UMSL
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En effectuant des analyses sur plus de 1 000 restes humains exhumés de la vallée du Nil, des archéologues ont découvert que les anciens Nubiens ayant vécu entre le VIIe et le IXe siècle tatouaient les joues et le front de leurs enfants. Coïncidant avec l’époque à laquelle le christianisme a commencé à se diffuser dans la région, cette évolution de pratique témoigne d’un changement culturel et historique profond.

Le tatouage représente une pratique culturelle utilisée par les sociétés humaines depuis des millénaires. Il répond à des fonctions multiples : affirmation de l’identité et de l’appartenance culturelle, marquage d’expériences de vie, expression de croyances religieuses, entre autres. Des tatouages ont ainsi été identifiés sur des restes humains provenant d’au moins 50 sites archéologiques à travers le monde, certains remontant jusqu’à 5 000 ans.

La vallée du Nil constitue l’un des terrains majeurs pour l’étude de l’influence culturelle du tatouage au fil de l’histoire. L’imagerie multispectrale appliquée à l’analyse de restes humains a permis d’identifier des tatouages lors de fouilles archéologiques ou dans des collections de musées. Ces travaux ont conduit à l’identification d’une trentaine d’individus tatoués exhumés dans la région.

Ces tatouages seraient associés à des identités de genre, de religion ou encore à des pratiques médicinales. Des études suggèrent également l’existence de différences stylistiques entre les restes provenant de l’ancienne Nubie (le Soudan actuel) et ceux de l’Égypte ancienne. Ces données couvrent toutefois des espaces et des périodes très étendus, sur plus de 800 kilomètres et près de 4 000 ans, ce qui complique la compréhension fine de l’évolution des pratiques selon les lieux, les époques et les cultures.

Par ailleurs, les témoignages relatifs aux pratiques de tatouage dans la vallée du Nil demeurent à la fois rares et dispersés, limitant la portée des analyses. Ainsi, bien que des exemples de tatouages soient documentés dans la région, ils relèvent le plus souvent d’études de cas isolées.

Dans une étude récemment publiée dans la revue PNAS, des chercheurs de l’Université du Missouri–Saint-Louis, aux États-Unis, proposent de combler ces lacunes en recourant à l’imagerie multispectrale pour analyser un corpus précis de 1 048 restes humains provenant de plusieurs sites archéologiques de la vallée du Nil.

Une pratique devenue un signe distinctif du visage à l’ère du christianisme

Les chercheurs ont examiné 1 048 restes issus de trois sites archéologiques distincts : Semna Sud, Kulubnarti et Qinifab. La technique d’imagerie multispectrale qu’ils ont utilisée permet de capturer des images à plusieurs longueurs d’onde, facilitant ainsi la détection d’incrustations d’encre, y compris sur des peaux foncées et très desséchées.

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Reconstitution d’un tatouage sur le front d’une fillette de 3 ans (datant d’entre 657-855 de notre ère) de Kulubnarti. © Mary Nguyen. 2025 UMSL

Cette méthode a permis d’identifier des tatouages chez plus de 27 individus ayant vécu dans la région entre le VIIe et le IXe siècle. Parmi eux figurent notamment un enfant de 18 mois présentant des tatouages nettement visibles sur le front et les tempes, ainsi qu’un nourrisson âgé de 7,5 à 10,5 mois chez lequel de possibles traces de tatouage ont été relevées.

Il convient de rappeler que, dans l’ancienne Nubie, le tatouage était principalement pratiqué par les femmes, qui arboraient des motifs discrets au niveau des mains et des avant-bras. Ces motifs, généralement composés de groupes de petits points, renvoyaient à des éléments de la nature ou à l’identité ethnique. Ils étaient probablement réalisés par l’enfoncement répété d’un outil pointu dans la peau.

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Reconstitution de tatouages ​​géométriques sur la main droite d’une femme adulte de Semna Sud. © Mary Nguyen. 2025 UMSL

Mais à partir du VIIe siècle, l’essor du christianisme dans la région aurait entraîné d’importantes transformations culturelles, affectant à la fois les personnes autorisées à se faire tatouer et les modalités d’application. « L’imagerie microscopique et la répartition de ces tatouages révèlent une évolution des pratiques durant la période chrétienne, avec notamment le tatouage d’enfants de moins de trois ans », écrivent les auteurs de l’étude.

Les chercheurs ont également observé que 19 % des restes mis au jour à Kulubnarti — une région du nord du Soudan principalement occupée durant l’ère chrétienne — étaient tatoués, incluant des hommes, des femmes et de très jeunes enfants. Alors que les tatouages antérieurs à la période chrétienne se faisaient plus discrets, ils deviennent ensuite de véritables marqueurs du visage, apposés sur le front, les tempes et les joues.

Les méthodes d’application évoluent elles aussi, passant d’un procédé manuel lent, point par point, à des techniques plus rapides par piqûre unique, utilisant des instruments plus acérés. Selon les chercheurs, ces résultats permettent d’établir des liens significatifs entre les pratiques de tatouage médiévales et modernes dans la vallée du Nil, contribuant ainsi à réduire les zones d’ombre chronologiques.

Source : PNAS
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