Un consortium de 44 des plus éminents climatologues au monde a publié une lettre ouverte exhortant les décideurs politiques des pays nordiques à engager des actions urgentes contre l’effondrement imminent de la circulation méridionale de retournement atlantique (AMOC). Des études menées au cours des dernières années indiquent notamment que ce risque a jusqu’à présent été largement sous-estimé. Les scientifiques misent sur l’influence géopolitique de ces pays pour accélérer les prises de décisions fermes à l’échelle internationale.
Différents types de courants permettent à l’eau des océans de circuler à travers le globe. Les courants de marée se produisent par exemple près des côtes et sont influencés par le Soleil et la Lune. D’autres, beaucoup plus lents, brassent l’eau depuis la surface vers les fonds marins et entraînent des changements de salinité et de température des océans, selon un processus appelé circulation thermohaline. Ces courants sont canalisés par un vaste réseau circulant entre les hémisphères et influençant la dynamique climatique et océanique entre les deux.
Parmi les plus importants figure la circulation méridionale de retournement atlantique (Atlantic Meridional Overturning Circulation ou AMOC), qui transporte l’eau du nord au sud et inversement, selon un long cycle au sein de l’océan Atlantique. Plus précisément, les eaux chaudes de surface sont transportées vers les pôles, où elles refroidissent pour former la banquise. La formation de la glace accumule le sel dans l’eau en dessous, qui devient alors plus dense et coule vers le fond. Cette eau est ensuite transportée vers le sud, puis ramenée à nouveau vers la surface où elle se réchauffe, bouclant ainsi le cycle.
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Ce cycle permet de transporter la chaleur vers les régions bordant l’océan Atlantique Nord, ainsi que les nutriments nécessaires à la vie océanique. Il est ainsi déterminant pour la vie des communautés de ces régions. Cependant, bien que l’AMOC soit naturellement lent (il faudrait environ 1 000 ans à une quantité d’eau donnée pour terminer son parcours le long de la chaîne), des études ont montré qu’il ralentit en raison du réchauffement climatique.
« Nos enregistrements placent le changement récent de la circulation atlantique dans un contexte à plus long terme. Bien que la manière exacte dont les choses évoluent ne soit pas encore claire et suscite des débats, il est évident que des changements sans précédent dans la circulation atlantique se produisent », a déclaré dans un communiqué David Thornalley, de l’University College de Londres, l’un de signataires de la lettre. « Cela soulève des signes avant-coureurs pour l’avenir », a-t-il ajouté.
Des conséquences dévastatrices à l’échelle mondiale
Des études ont suggéré que le risque d’effondrement de l’AMOC peut varier selon la limite de réchauffement de 1,5 à 2 °C indiquée par l’Accord de Paris. Or, les indicateurs climatiques actuels semblent suggérer que nous ne parviendrons pas à limiter le réchauffement en dessous de ces limites. D’un autre côté, d’après le dernier rapport du GIEC, il y aurait une chance que l’AMOC ne s’effondre pas brusquement avant 2100 avec un degré de confiance moyen. Les auteurs de la lettre ouverte affirment qu’il s’agit non seulement d’une évaluation manquant de précision, mais également d’une sous-estimation des risques.
De récentes recherches ont montré que le système océanique pourrait s’effondrer au cours des prochaines décennies. « Étant donné les preuves croissantes d’un risque plus élevé d’effondrement de l’AMOC, nous croyons qu’il est essentiel que les risques liés au point de basculement dans l’Arctique, en particulier le risque lié à l’AMOC, soient pris au sérieux dans la gouvernance et les politiques », écrivent les chercheurs.
Cet effondrement aurait des conséquences dramatiques et irréversibles pour les pays nordiques (Danemark, Islande, Norvège, Finlande et Suède) ainsi qu’une partie de l’Europe et des États-Unis. Cela entraînerait un refroidissement majeur ainsi que d’autres conditions météorologiques extrêmes, pouvant nuire à l’agriculture et ainsi à la production alimentaire. La perte de ce courant pourrait en outre étendre la « tache froide », une zone froide qui s’est déjà formée au-dessus de l’atlantique nord en raison du ralentissement de l’apport en eau chaude.
D’autre part, l’effondrement de l’AMOC déplacerait les systèmes de mousson tropicale vers le sud, ce qui empêcherait les précipitations saisonnières d’alimenter l’agriculture de nombreuses régions. Des élévations du niveau de la mer sur la côte est des États-Unis, ainsi qu’un bouleversement d’une grande partie des écosystèmes marins sont aussi à prévoir, ce qui impacterait l’industrie de la pêche à l’échelle mondiale.
« Reconnaissant que l’adaptation à une catastrophe climatique aussi grave n’est pas une option viable, nous exhortons le Conseil des ministres nordiques à entreprendre une évaluation de ce risque important pour les pays nordiques et prendre des mesures pour minimiser ce risque autant que possible », indique le groupe d’experts dans sa lettre. Le Conseil nordique des ministres est un forum intergouvernemental visant à promouvoir la coopération entre les pays nordiques.
Les climatologues espèrent tirer parti de la haute influence géopolitique de ces pays afin d’inciter d’autres à accélérer les efforts mondiaux visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre le plus rapidement possible. La conférence du cercle polaire arctique, un important rassemblement d’experts du climat et de l’environnement, a servi de plateforme à la publication de la lettre.