Il y a 4,5 milliards d’années, la Terre était recouverte d’un océan de magma. Puis, sa surface a fini par se solidifier, tandis que l’énergie thermique émanant de l’intérieur de la planète continuait d’alimenter d’importants processus dynamiques, tels que la convection mantellique, la tectonique des plaques et le volcanisme. En combien de temps la surface de la Terre s’est-elle refroidie ? Ce refroidissement continu mettra-t-il un jour fin à ces processus ? Une équipe de chercheurs s’est intéressée au phénomène et affirme que les activités tectoniques entraînées par la convection du manteau pourraient s’affaiblir plus rapidement que prévu.
Depuis sa formation, la Terre a libéré de grandes quantités de chaleur, émanant de l’intérieur vers la surface. Cette chaleur entraîne des mouvements de convection dans le manteau, provoquant à leur tour une activité tectonique et volcanique observable en surface. Mais combien de temps la Terre restera-t-elle dynamiquement active ? Pour le savoir, des chercheurs ont entrepris de déterminer la conductivité thermique des matériaux profonds de la Terre.
Le processus naît à la limite noyau-manteau, où le noyau de fer et de nickel en fusion est en contact direct avec le manteau de silicates solide. Cette frontière est connue comme la plus grande limite thermique de la Terre avec un gradient thermique significativement raide, rapportent les chercheurs. D’importantes quantités de chaleur sont ainsi transférées du noyau au manteau, principalement par conduction et par rayonnement. La partie la plus profonde du manteau est essentiellement composée de bridgmanite ; la conductivité thermique de ce matériau peut donc permettre d’estimer à quelle vitesse le manteau terrestre se refroidit.
Arborez un message climatique percutant 🌍
Une conductivité thermique bien plus élevée que prévu
Cette grandeur est toutefois particulièrement difficile à déterminer. La bridgmanite (de formule (Mg,Fe)SiO3) se forme sous des pressions extrêmes, de plusieurs dizaines de gigapascals ; dans le manteau inférieur, elle subit en outre des températures extrêmes (la température est estimée à environ 4100 K juste au niveau de la frontière noyau-manteau). Des conditions qu’il est complexe de reproduire en laboratoire à des fins expérimentales…
Mais des chercheurs de la Carnegie Institution for Science, à Washington, dirigés par Motohiko Murakami, ont réussi à développer un système de mesure sophistiqué, qui leur permet de mesurer la conductivité thermique de la bridgmanite, dans des conditions de pression et de température identiques à celles qui règnent à l’intérieur de la Terre. Ils ont ainsi pu effectuer une série de mesures de conductivité thermique radiative de la bridgmanite à une pression de 80 GPa et à des températures allant jusqu’à 2440 K.
L’échantillon de bridgmanite utilisé a été synthétisé à partir d’oxydes (SiO2, MgO, FeO et Mg(OH)2) à haute température (1450 °C) et sous très haute pression (24 GPa). Le cristal obtenu a ensuite été introduit dans une cellule à enclumes de diamant, chauffée avec un laser pulsé. L’emploi d’une sonde supercontinuum à impulsions courtes avec une luminosité ultra-élevée, au lieu de la source de lumière halogène utilisée conventionnellement, a permis d’obtenir un spectre d’absorption de très haute qualité, même à très haute température et sur un temps de mesure extrêmement court (10 ms). Réduire le temps de mesure a permis de limiter la séparation chimique indésirable induite lors du chauffage laser.
« Ce système de mesure nous a permis de montrer que la conductivité thermique de la bridgmanite est environ 1,5 fois plus élevée que prévu », déclare Murakami dans un communiqué. L’équipe rapporte une conductivité thermique radiative d’environ 5,3 ± 1,2 W/mK ; cette valeur ajoutée à la conductivité thermique du réseau (évaluée à 10 W/mK) porte la conductivité thermique globale de la bridgmanite à environ 15,2 W/mK — une valeur 1,5 fois supérieure à celle admise suite à de précédentes recherches.
Un effet d’emballement du refroidissement
La valeur de conductivité thermique étant plus élevée au niveau du manteau inférieur que la valeur précédemment attendue suggère que le transfert de chaleur du noyau vers le manteau est également plus rapide que ne le pensaient les experts jusqu’à présent. Et à son tour, un plus grand flux de chaleur augmente les mouvements de convection du manteau, ce qui accélère le refroidissement de la planète. Conséquences ? La tectonique des plaques, justement entretenue par les mouvements convectifs du manteau, pourrait s’amenuiser plus rapidement. « [Nos résultats] suggèrent que la Terre, comme les autres planètes rocheuses Mercure et Mars, se refroidit et devient inactive beaucoup plus rapidement que prévu », explique Murakami.
Cette étude a par ailleurs permis de mettre en évidence que le refroidissement rapide du manteau modifie les minéraux qui composent la frontière noyau-manteau. Et il se trouve que le phénomène sert en quelque sorte de catalyseur de refroidissement : en effet, lorsqu’elle refroidit, la bridgmanite se transforme en post-pérovskite minérale. Or, cette forme minérale conduit encore mieux la chaleur que la bridgmanite. Ainsi, si la post-pérovskite commence à dominer dans le manteau inférieur, le refroidissement de celui-ci s’accélère de plus belle.
Lorsque les mouvements convectifs du manteau cesseront pour de bon, la Terre deviendra une planète « morte ». Quand cela se produira-t-il ? Impossible de le prédire pour le moment, selon Murakami. « Nous n’en savons pas encore assez sur ce type d’événements pour déterminer avec précision leur chronologie ». En outre, d’autres facteurs entrent en jeu, tels que la désintégration des éléments radioactifs à l’intérieur de la Terre, qui elle aussi génère beaucoup de chaleur et affecte la dynamique du manteau. Mais une chose est sûre, nous ne serons plus là pour assister à l’événement.