Réparer ou remplacer n’importe quel organe ou tissu du corps humain, pour pallier une déficience, tel est l’enjeu de la médecine régénérative. Récemment, des chercheurs ont mis au point des molécules qui agissent comme une « colle » cellulaire, leur permettant de diriger de manière précise la façon dont les cellules se lient les unes aux autres. Cette avancée constitue une étape majeure dans l’atteinte d’un objectif longtemps convoité, la génération (ou régénération) de tissus et d’organes.
Notre corps est constitué de milliers de milliards de cellules, organisées en schémas complexes permettant d’assurer toutes ses fonctions. Les molécules d’adhésion cellulaire sont donc essentielles et omniprésentes dans les organismes multicellulaires pour maintenir tous ces assemblages de manière stable et solide.
Ces dernières spécifient des interactions cellule-cellule précises dans des processus aussi divers que le développement tissulaire, le guidage des cellules immunitaires vers leur cible et le câblage du système nerveux. L’adhésion facilite également la communication entre les cellules pour que le corps fonctionne comme un tout autorégulé.
L’enjeu actuel de la médecine régénérative est de générer de nouveaux organes lorsqu’ils sont trop vieux ou déficients, en reprogrammant des cellules adultes différenciées pour les rendre pluripotentes. Une cellule pluripotente est une cellule souche capable d’engendrer à nouveau n’importe quel type de cellule spécialisée. Il s’agit du prochain chapitre de la transplantation d’organes, mais en utilisant des cellules souches au lieu d’organes de donneurs, dont l’approvisionnement est limité.
De plus, les tissus corporels et les organes commencent à se former in utero et continuent à se développer pendant l’enfance. À l’âge adulte, de nombreuses instructions moléculaires qui guident ces processus génératifs disparaissent et certains tissus, comme les nerfs, ne peuvent pas guérir d’une blessure ou d’une maladie.
Dans ce contexte, des chercheurs de l’UC San Francisco (UCSF) ont conçu des molécules d’adhésion personnalisées qui agissent comme une « colle cellulaire », leur permettant de diriger de manière précise et prévisible les liaisons entre les cellules pour former des ensembles multicellulaires complexes, tels que les tissus du corps humain ou les organes. L’étude est publiée dans la revue Nature.
Une boîte à outils pour rétablir les interactions entre cellules
Il faut savoir que ce qui distingue un tissu d’un autre est la façon dont ses cellules sont liées les unes aux autres. Dans un organe solide, comme les poumons, les nombreuses cellules sont liées assez étroitement. Mais dans le système immunitaire, des liaisons plus faibles permettent aux cellules de circuler dans les vaisseaux sanguins ou de ramper entre les cellules étroitement liées de la peau, par exemple, pour atteindre un agent pathogène ou une plaie.
Wendell Lim, PhD, directeur du Cell Design Institute de l’UCSF et co-auteur, explique qu’il est donc nécessaire de concevoir avec précision la façon dont les cellules interagissent entre elles.
Pour comprendre cette liaison cellulaire et la diriger dans un but de médecine régénérative, les chercheurs ont conçu des molécules d’adhésion cellulaire synthétiques (synCAM) en deux parties. Une partie de la molécule agit comme un récepteur à l’extérieur de la cellule et détermine avec quelles autres cellules elle interagit. Une deuxième partie est constituée des domaines intracellulaires de molécules d’adhésion natives, telles que les cadhérines et les intégrines, permettant de régler la force du lien qui se forme.
Les molécules résultantes produisent des interactions cellule-cellule personnalisées avec des propriétés d’adhésion similaires aux interactions retrouvées in vivo. Les deux parties peuvent être mélangées et appariées de manière modulaire, créant ainsi un réseau de cellules personnalisées qui se lient de différentes manières à travers le spectre des types de cellules.
Cette « boîte à outils » de molécules d’adhésion permet l’assemblage programmé de manière rationnelle de nouvelles architectures multicellulaires, ainsi que le remodelage des tissus lésés dans le corps.
Adam Stevens, PhD, boursier Hartz au Cell Design Institute et premier auteur de l’étude, déclare dans un communiqué : « Nous concevons des moyens de contrôler cette organisation des cellules, qui est essentielle pour pouvoir synthétiser des tissus avec les propriétés que nous voulons qu’ils aient ».
Outre le fait de remplacer un organe, un tissu abîmé ou dysfonctionnel in vivo, cette découverte pourrait permettre, selon les auteurs, de concevoir des tissus pour modéliser des états pathologiques, afin de faciliter leur étude dans les tissus humains.
Des assemblages cellulaires codés tout au long de l’évolution
Comme le rappellent les chercheurs, l’adhésion cellulaire a été un développement clé dans l’évolution des animaux et d’autres organismes multicellulaires. De fait, les molécules d’adhésion personnalisées peuvent offrir une nouvelle voie de compréhension plus approfondie sur la façon dont les organismes unicellulaires ont commencé à évoluer vers des organismes multicellulaires, précurseurs des espèces actuelles.
Adam Stevens conclut : « C’est très excitant que nous en comprenions maintenant beaucoup plus sur la façon dont l’évolution a pu commencer à construire des corps ». Il ajoute : « Notre travail révèle un code d’adhésion moléculaire flexible qui détermine quelles cellules vont interagir et de quelle manière. Maintenant que nous commençons à le comprendre, nous pouvons exploiter ce code pour diriger la façon dont les cellules s’assemblent en tissus et organes. Ces outils pourraient être vraiment transformateurs ».