Colombie : découverte d’un ancien peuple oublié dont l’ADN s’est volatilisé

Leur héritage génétique a entièrement disparu il y a 2 000 ans pour laisser place à une seconde vague de migration dans la région.

mysterieuse population colombienne
| Pixabay
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En menant des fouilles sur le site d’Altiplano, dans le centre de la Colombie, des archéologues ont mis au jour les restes d’une population jusqu’alors inconnue, datant de 6 000 ans. Il pourrait s’agir des premiers chasseurs-cueilleurs ayant colonisé les hautes plaines de Bogotá, avant de se disperser vers le sud du continent. Pourtant, leur trace génétique s’efface subitement il y a 2 000 ans, laissant place, selon les chercheurs, à une seconde vague migratoire en provenance d’Amérique centrale.

Les recherches génétiques menées sur les populations autochtones ont considérablement enrichi notre compréhension de la manière dont le continent américain a été peuplé. Elles ont notamment révélé que les anciens Amérindiens non arctiques descendaient d’un mélange de populations d’Asie de l’Est et de Sibérie, apparu il y a plus de 20 000 ans. Peu de temps après leur arrivée en Amérique, cette ascendance s’est divisée en deux branches distinctes : les Amérindiens du Nord et les Amérindiens du Sud.

Les premiers sont restés concentrés au nord du continent, tandis que les seconds ont migré vers le sud, donnant naissance à une grande diversité de lignées. Trois sous-lignées principales ont ainsi été identifiées : l’une est apparentée à l’individu Anzick-1, associé à la culture Clovis dans l’ouest du Montana (États-Unis) ; une autre a été détectée chez des individus anciens des îles Anglo-Normandes de Californie ; la dernière constitue la principale source d’ascendance des peuples autochtones actuels d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud.

Ces lignées se retrouvent dans le génome des anciens habitants de l’Amérique du Sud, reflétant plusieurs vagues migratoires s’étendant jusqu’à 12 000 ans. Les populations autochtones actuelles du Chili et du Brésil, par exemple, sont génétiquement plus proches de l’individu Anzick-1 que celles de la côte est du continent, du Cône Sud ou des Andes.

Un carrefour oublié du peuplement américain

Toutefois, la chronologie exacte des différentes migrations à l’origine du peuplement du sud de l’Amérique reste largement méconnue. Pour combler ces lacunes, une équipe de chercheurs de l’Université de Tübingen, du Senckenberg Center for Human Evolution and Palaeoenvironment, ainsi que de l’Université nationale de Colombie, a entrepris l’analyse du matériel génétique de 21 individus exhumés sur plusieurs sites archéologiques des hautes plaines colombiennes.

La région isthmo-colombienne, qui s’étend de la côte du Honduras aux Andes septentrionales de Colombie, constitue un carrefour crucial pour comprendre la diffusion des populations vers le sud du continent. Elle a servi de pont naturel, facilitant la migration des groupes humains depuis l’Amérique du Nord. Les archéologues estiment que les premiers chasseurs-cueilleurs ont gagné le sud via l’actuelle Colombie, avant de se disperser à partir de cette zone stratégique.

Carrefour culturel, la Colombie se situe à l’interface de trois grandes régions : la Méso-Amérique, l’Amazonie et les Andes. À l’arrivée des premiers Européens, le territoire abritait déjà une mosaïque complexe de peuples, s’exprimant en langues chibchan, chocoane, caraïbe ou arawak.

La nouvelle étude, publiée dans la revue Science Advances, s’appuie sur l’analyse des génomes de 21 individus issus de cinq sites archéologiques situés sur les hautes plaines colombiennes. Prélevés sur des ossements et des dents, les échantillons couvrent une période d’environ 6 000 ans, jusqu’à la veille de la colonisation espagnole. Selon Cosimo Posth, professeur à l’Université de Tübingen et co-auteur principal de l’étude, « il s’agit des premiers génomes humains anciens de Colombie jamais publiés ».

Une ascendance effacée du paysage génétique

Les plus anciens individus proviennent du site de Checua, à quelque 3 000 mètres d’altitude, au nord de Bogotá. Leur analyse génétique révèle qu’ils appartenaient à une petite communauté de chasseurs-cueilleurs vivant sur le plateau de l’Altiplano, et descendaient des premiers groupes humains qui se sont rapidement répandus à travers l’Amérique du Sud.

Fait remarquable, cet héritage génétique ne se retrouve plus du tout dans les populations vivant dans la région quelque 4 000 ans plus tard. « Nous n’avons trouvé aucun signe de descendance génétique de ces premiers chasseurs-cueilleurs des hautes plaines – leurs gènes n’ont pas été transmis », explique Kim-Louise Krettek, chercheuse au Senckenberg Center et première autrice de l’étude. « Cela suggère un important renouvellement de population dans la région de Bogotá », précise-t-elle.

Selon les chercheurs, ces premiers occupants des hautes terres colombiennes, encore non décrits jusqu’à présent, auraient résidé dans la région il y a environ 6 000 ans, avant de disparaître vers 2 000 ans avant notre ère. Ils auraient alors été remplacés – selon une hypothèse avancée par l’équipe – par des populations venues d’Amérique centrale. Outre des innovations techniques, telles que l’introduction de la céramique, ces groupes auraient également diffusé les langues chibchan, toujours présentes dans le centre du continent.

carte genetique colombie
Cadre géographique et temporel des individus anciens et modernes analysés. (A) Carte de l’isthme de Panama (ci-après isthme) et du nord-ouest de l’Amérique du Sud indiquant la localisation géographique des populations autochtones actuelles de Colombie, du Panama et du Costa Rica (triangles gris), des anciens Colombiens (cercles rouges), des Vénézuéliens de l’âge céramique et des anciens Panaméens (cercles bleu clair). (B) Chronologie des génomes anciens générés sur l’Altiplano et des périodes archéologiques associées. Le complexe céramique de Herrera appartient à la période formative. © Krettek et al.

Une disparition sans explication certaine

La disparition complète de toute trace génétique d’une population est un phénomène rare, d’autant que la région andine et le Cône Sud de l’Amérique ont jusqu’à présent montré une forte continuité génétique sur de longues périodes. « Il en allait de même pour les populations postérieures aux chasseurs-cueilleurs de l’Altiplano de Bogotá, jusqu’à l’arrivée des conquistadors il y a environ 500 ans, malgré les transformations culturelles liées au développement de la civilisation muisca », rappelle Andrea Casas-Vargas, de l’Université nationale de Colombie, également co-auteur de l’étude.

Les causes d’un tel effacement génétique demeurent inconnues, et les chercheurs s’abstiennent de toute spéculation. Toutefois, cette étude permet de mieux appréhender la complexité de l’histoire du peuplement sud-américain. Elle s’inscrit dans une série de travaux précédents ayant mis en lumière des connexions génétiques, parfois controversées, avec des populations aussi éloignées que les Autochtones australiens.

Source : Science Advances
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