La tartrazine, un colorant alimentaire courant utilisé par exemple dans les Doritos, rend la peau et les tissus conjonctifs temporairement transparents sous la lumière rouge, révèle une étude. Le colorant laisserait notamment pénétrer la lumière en modifiant l’indice de réfraction des tissus, et ce, de façon réversible et sans provoquer de dommage. Cette découverte pourrait avoir de nombreuses implications, en permettant par exemple de localiser des lésions ou des tumeurs de manière non invasive.
Lorsqu’on pose une lampe de poche allumée sur la paume ou les doigts, la lumière les rend rouge-orangés, mais toutefois sans laisser entrevoir les muscles et les os. Cela est dû au fait que les tissus dispersent la lumière de manière différente selon leur composition et leur structure.
En effet, chaque matériau transparent possède un indice de réfraction, qui se traduit par le rapport entre la vitesse de la lumière dans le vide et sa vitesse lorsqu’elle traverse le matériau. La lumière traverse par exemple l’eau à trois quarts de sa vitesse dans le vide, donnant ainsi un indice de réfraction de 1,33. Lorsqu’elle traverse des matériaux ayant des indices de réfraction différents, elle se courbe. En outre, étant donné que le lipide composant les membranes cellulaires a un indice de réfraction supérieur à celui de l’eau, les cellules se comportent un peu comme des lentilles dispersant aléatoirement la lumière dans toutes les directions, rendant ainsi les tissus opaques.
Les techniques utilisées actuellement pour rendre les tissus transparents consistent généralement à éliminer les lipides et ne laisser que des gels aqueux laissant passer la lumière sans qu’elle se disperse. Les tissus biologiques sont composés d’eau, de lipides, de protéines et de nombreux autres composants. Cependant, ces techniques sont à la fois invasives et détruisent les tissus, ce qui entrave leur utilisation sur des animaux vivants.
Des chercheurs de l’Université de Stanford ont exploré l’hypothèse selon laquelle certains colorants absorbant fortement la lumière pourraient permettre de la laisser pénétrer plus facilement les tissus. Au lieu d’extraire les lipides pour que l’indice de réfraction corresponde à celui de l’eau, les colorants permettraient d’augmenter l’indice de réfraction de cette dernière de sorte qu’il corresponde à celui des lipides et des autres composants tissulaires.
Ils ont découvert que la tartrazine — un colorant orange approuvé par la Food and Drug Administration (FDA) américaine et couramment utilisé pour une large gamme de produits alimentaires (les chips Doritos, les boissons SunnyD, les bonbons Haribo, etc.) — modifiait l’indice de réfraction de l’eau dans les tissus au taux idéal. Dans le cadre d’une expérience, le composé a permis de rendre les tissus de souris transparents sans les endommager.
« Si nous pouvions simplement observer ce qui se passe sous la peau au lieu de la couper ou d’utiliser des radiations pour obtenir un aperçu moins clair, nous pourrions changer la façon dont nous percevons le corps humain », explique dans le Stanford Report Guosong Hong, coauteur principal de l’étude, détaillée dans la revue Science.
Un processus non invasif et réversible
En temps normal, un colorant devrait rendre l’eau moins transparente et moins laisser pénétrer la lumière. Cependant, la tartrazine absorbe la lumière bleue et ralentit la vitesse de la lumière dans le milieu en réduisant l’écart d’indice de réfraction entre l’eau et les lipides des tissus. Ces derniers laissent ainsi passer les longueurs d’onde rouges et oranges sans qu’elles se dispersent, augmentant ainsi leur transparence à ces couleurs.
« Le plus surprenant dans cette étude, c’est que nous nous attendons généralement à ce que les molécules colorantes rendent les choses moins transparentes », explique Hong au Guardian. Cependant, « dans notre expérience, lorsque nous dissolvons de la tartrazine dans un matériau opaque comme le muscle ou la peau – qui diffuse normalement la lumière -, plus nous ajoutons de tartrazine, plus le matériau devient clair, mais seulement dans la partie rouge du spectre lumineux », indique-t-il.
Pour explorer son hypothèse, l’équipe a rasé puis imbibé la peau de l’abdomen, des membres postérieurs et le cuir chevelu d’une souris sous sédation. Après quelques minutes, la peau a viré au rouge, indiquant qu’une grande partie de la lumière bleue a été absorbée et qu’elle était devenue transparente à la lumière rouge. Le fonctionnement des organes internes du rongeur (foie, cœur, poumons, …) a ainsi pu être observé sans équipement médical.
L’application du colorant sur les pattes arrières du rongeur a en outre permis d’observer les fibres musculaires, des éléments qui ne peuvent actuellement être visualisés qu’à l’aide d’un endoscope implanté sous la peau. Le colorant appliqué au niveau de la tête a également permis d’observer les vaisseaux sanguins et les neurones situés au niveau des couches les plus externes du cerveau, en utilisant une technique d’imagerie par contraste de taches laser. À savoir que le crâne des souris est naturellement translucide, car il est très fin.
Par ailleurs, le colorant n’a pas altéré les tissus et le processus est entièrement réversible. La transparence a été éliminée en seulement quelques minutes dès que la tartrazine a été rincée à l’eau. En outre, bien qu’elle soit pour le moment limitée à environ 1 centimètre de profondeur, des dispositifs de patchs ou des injections par micro-aiguilles pourraient l’étendre plus profondément.
Une opportunité pour détecter les tumeurs depuis l’extérieur
La technique de coloration proposée par Hong et son équipe comporte des limites. Par exemple, étant donné que la fenêtre d’absorption du colorant se situe entre le rouge et l‘orange, la plupart des marqueurs fluorescents ne sont pas visibles. D’autre part, le colorant ne permet pas de s’aligner avec l’indice de réfraction de l’hémoglobine, qui est à la fois différent de celui de l’eau et des lipides. Cela signifie qu’elle ne permet pas de rendre le sang transparent pour observer en détail certaines structures.
Néanmoins, la technique ouvre la voie à de nombreuses opportunités médicales et de recherche. Elle permettrait par exemple d’observer la dynamique cérébrale des souris lorsqu’elles effectuent des tâches, sans dispositifs d’imagerie complexe. Elle pourrait aussi éliminer le recourt aux biopsies invasives, en permettant de détecter les tumeurs depuis l’extérieur, de repérer plus facilement une veine pour une intraveineuse, d’améliorer la précision du dé-tatouage au laser, etc.
Vidéo explicative des résultats de l’étude :