L’objet est si massif que les scientifiques ont d’abord cru qu’il s’agissait d’une planète naine. Fort heureusement, cette comète dénommée C/2014 UN271 (Bernardinelli-Bernstein) ne représente pas une menace : elle ne fera que passer à l’extérieur de l’orbite de Saturne. Pour les spécialistes, ce sera néanmoins l’occasion d’étudier de plus près un gros objet provenant du nuage d’Oort et de collecter potentiellement de nouveaux indices sur la formation de notre système solaire.
Cette comète a été imagée pour la première fois en 2014 ; elle se trouvait alors à 4 milliards de kilomètres du Soleil. Sa magnitude absolue suggère qu’elle mesure environ 100 à 200 kilomètres de diamètre — c’est pourquoi elle n’était de prime abord pas considérée comme une comète. Ce n’est qu’en juin de cette année, que son activité cométaire a été observée, puis rapportée, par Pedro Bernardinelli et Gary Bernstein, de l’Université de Pennsylvanie.
Parce qu’elle est environ 1000 fois plus massive qu’une comète typique, il s’agit sans doute de la plus grande comète découverte à l’époque moderne. Elle atteindra son périhélie lorsqu’elle se trouvera à 1,6 milliard de kilomètres, juste en dehors de l’orbite de Saturne, en janvier 2031. « Nous avons le privilège […] de l’avoir détectée suffisamment tôt pour que les gens la voient évoluer à mesure qu’elle s’approche et se réchauffe », soulignent les astronomes. Cela fait plus de 3 millions d’années qu’elle n’a pas visité le système solaire.
Près de 5000 degrés carrés du ciel passés au crible
Au mois de juin, la comète Bernardinelli-Bernstein se trouvait à 3 milliards de kilomètres du Soleil — soit plus de la distance Soleil-Uranus — et brille actuellement à la magnitude 20. Mais malgré sa taille et sa luminosité, les astronomes amateurs auront besoin d’un grand télescope pour l’apercevoir.
Le système solaire externe, qui s’étend de l’orbite des géantes gazeuses (Jupiter, Saturne) au nuage d’Oort, en passant par la ceinture de Kuiper, demeure très mystérieux pour la communauté scientifique. Passée l’orbite de Neptune, planète la plus éloignée du Soleil, située à 4,5 milliards de kilomètres, les observations se font en effet plus difficiles. Le nuage d’Oort en particulier, situé bien au-delà des planètes et de la ceinture de Kuiper, reste purement hypothétique : aucune observation directe de ce nuage de corps glacés n’a été effectuée ; l’analyse des orbites des différentes comètes suggère toutefois qu’elles proviennent quasiment toutes de cette région de l’espace.
Grâce aux données collectées par le Dark Energy Survey (DES), les astronomes disposent aujourd’hui d’un peu plus d’informations. Ce projet international a été mis en place pour sonder l’origine de l’accélération de l’Univers et aider à découvrir la nature de l’énergie noire, en mesurant l’histoire de 14 milliards d’années de l’expansion cosmique avec une grande précision. Pour ce faire, un appareil photo numérique extrêmement sensible de 570 mégapixels, DECam, a été installé sur le télescope Blanco de l’Observatoire interaméricain de Cerro Tololo, dans les Andes chiliennes.
Pendant six ans, entre août 2013 et janvier 2019, DES a permis de cartographier 300 millions de galaxies situées à des milliards d’années-lumière de la Terre, sur une zone de 5000 degrés carrés du ciel austral. Cette campagne d’observation a également permis de repérer de nombreuses comètes et objets transneptuniens traversant la zone. Plus tôt ce mois-ci, une équipe d’astronomes a révélé qu’elle avait découvert 461 objets auparavant inconnus dans le système solaire externe grâce aux données DES, parmi lesquels la comète C/2014 UN271.
Une comète qui renferme des données essentielles
Bernstein, Bernardinelli et leurs collègues décrivent aujourd’hui cette comète plus en détail, dans un article préimprimé accepté par The Astrophysical Journal Letters. Selon les analyses de l’équipe, C/2014 UN271 (Bernardinelli-Bernstein) a entamé son voyage à une distance d’environ 40 400 unités astronomiques (ua) du Soleil — ce qui correspond à la localisation présumée du nuage d’Oort, qui s’étendrait d’environ 2000 à 100 000 ua. « Nous concluons que C/2014 UN271 (Bernardinelli-Bernstein) est une « nouvelle » comète dans le sens où il n’y a aucune preuve d’une approche antérieure à plus de 18 ua du Soleil depuis son éjection dans le nuage d’Oort », écrivent les chercheurs.
Son périhélie se situe à 10,97 ua et sera atteint en 2031 ; son précédent passage remonte à 3,5 milliards d’années ! Les données photométriques montrent un noyau de magnitude absolue 8 et des couleurs typiques des noyaux de comètes, précisent les astronomes. Ils évaluent sont diamètre à 155 kilomètres.
La comète Bernardinelli-Bernstein sera suivie intensivement par la communauté astronomique, pour comprendre la composition et l’origine de cette relique massive de la naissance de notre propre planète. Les matières volatiles emprisonnées dans les glaces de la comète devraient en effet contenir des informations sur la chimie du système solaire externe lors de sa formation. L’analyse spectrale de sa chevelure (ou coma) — soit le halo constitué de particules de gaz qui sont libérées quand la comète se rapproche du Soleil — permettra d’en savoir plus à ce sujet.
Les astronomes estiment qu’il pourrait y avoir beaucoup plus de comètes de cette taille non découvertes en attente dans le nuage d’Oort. Ces comètes géantes auraient été dispersées aux confins du système solaire lors de la migration de Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune au début de leur histoire.