Depuis quelques années, la biologie de synthèse a tellement évolué que les biologistes sont aujourd’hui capables de développer des mini-cerveaux en laboratoire. Ces organoïdes cérébraux sont des amas de cellules cérébrales (neurones et cellules gliales) permettant de répliquer certaines caractéristiques du cerveau humain. Comment et dans quels objectifs les chercheurs cultivent-ils ces organoïdes ?
Les organoïdes cérébraux — également appelés mini-cerveaux — sont des modèles cellulaires 3D qui représentent des aspects du cerveau humain en laboratoire. Les organoïdes cérébraux aident les chercheurs à suivre le développement humain, à cerner les événements moléculaires qui mènent à certaines maladies et à tester de nouveaux traitements. Bien sûr, ils ne sont pas des répliques parfaites.
Les organoïdes cérébraux ne reproduisent pas la fonction cognitive, mais les chercheurs peuvent vérifier l’évolution de la structure physique ou de l’expression génique d’un organoïde au fil du temps, à la suite d’un virus ou de la prise d’un médicament. Les chercheurs de l’Université de Californie à San Diego ont poussé les organoïdes cérébraux encore plus loin en atteignant un niveau d’activité sans précédent dans les réseaux de neurones — des impulsions électriques pouvant être enregistrées par des réseaux multi-électrodes.
Des organoïdes cérébraux optimisés pour étudier le comportement du cerveau humain
En utilisant les données de bébés nés jusqu’à trois mois et demi avant terme, l’équipe a développé un algorithme permettant de prédire leur âge en fonction de leurs EEG. L’algorithme analyse ensuite les organoïdes cérébraux cultivés en laboratoire de la même manière et leur attribue un âge. Le schéma des impulsions électriques pour les organoïdes cérébraux âgés de neuf mois a révélé des caractéristiques similaires à celles d’un prématuré qui avait atteint son terme (40 semaines de gestation).
Ces nouveaux organoïdes cérébraux optimisés peuvent permettre aux chercheurs d’étudier des maladies mentales qui ne sont pas causées par des changements physiologiques explicites, mais impliquent plutôt des perturbations de l’activité du réseau de cellules cérébrales telles que l’autisme ou l’épilepsie. Pour bon nombre de ces conditions, il n’existe aucun modèle de laboratoire ou animal pertinent.
« Nous ne pouvions pas le croire au début – nous pensions que nos électrodes fonctionnaient mal » déclare Alysson R. Muotri, professeur de pédiatrie et de médecine cellulaire et moléculaire à l’UC San Diego School of Medicine. « Parce que les données étaient si frappantes, je pense que beaucoup de gens étaient assez sceptiques à ce sujet, et cela se comprend ». Les résultats ont été publiés dans la revue Cell Stem Cell.
Mieux comprendre le développement cérébral et les troubles neurologiques
Le développement d’un organoïde cérébral commence par un élément inattendu : un échantillon de peau adulte. En laboratoire, les chercheurs transforment les cellules de la peau en cellules souches pluripotentes induites (CSPi). Comme la plupart des cellules souches, avec le bon cocktail de facteurs moléculaires, les CSPi peuvent se spécialiser dans n’importe quel type de cellules. Dans ce cas, elles deviennent des cellules cérébrales — différents types de neurones et de cellules gliales, par exemple.
À l’Université de San Diego, les organoïdes cérébraux ont été utilisés pour produire la première preuve expérimentale directe que le virus brésilien Zika peut causer de graves malformations congénitales et pour réorienter les médicaments anti-VIH existants contre un rare trouble neurologique hérité. Muotri et son équipe ont également récemment envoyé leurs organoïdes cérébraux dans la Station spatiale internationale pour tester l’effet de la microgravité sur le développement du cerveau.
Dans cette dernière étude, Muotri et ses collègues ont optimisé chaque étape de la construction des organoïdes cérébraux. Par exemple, ils ont commencé à partir de cellules uniques, plutôt que des groupes de cellules utilisés dans la plupart des protocoles. Ils ont également modifié le timing précis et la concentration des facteurs ajoutés pour une organisation rapide des cellules cérébrales. Il n’existe pas d’ingrédient secret ni d’innovation, explique-t-il, mais plusieurs améliorations au fil du temps.
Première mesure d’activité électrique dans des organoïdes cérébraux
L’optimisation a porté ses fruits en termes de diversité cellulaire et d’activité des réseaux cellulaires. Par exemple, l’équipe a détecté un neurone spécifique aux primates, appelé neurone GABAergique cortical, qui n’avait jamais été généré auparavant en laboratoire. Selon Muotri, ces cellules sont des acteurs importants dans la sophistication des réseaux de neurones.
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Pour mesurer l’activité du réseau cellulaire, les chercheurs ont développé leurs organoïdes cérébraux nouvellement optimisés sur des réseaux multi-électrodes. Les électrodes capturent et enregistrent les impulsions électriques, qui apparaissent sous la forme de motifs d’ondes et de pics dans un EEG. Avec ce nouveau protocole, les organites cérébrales sont passées de 3000 à 300’000 pics par minute.
Vidéo dans laquelle les chercheurs expliquent et commentent l’émergence d’une activité électrique dans les organoïdes cérébraux :
Chez l’Homme, les oscillations changent avec l’âge, à mesure que la connectivité des cellules du cerveau se développe. Les cerveaux des nouveau-nés ont tendance à avoir des périodes de repos entre les pics d’activité électrique. Ces périodes calmes deviennent de plus en plus courtes à mesure que le cerveau se développe. Avec le temps, l’activité cérébrale devient constante, bien que les niveaux varient. Ces schémas d’oscillation cérébrale sont souvent en corrélation avec la cognition humaine et les états pathologiques.
Une activité électrique cérébrale similaire à celle du cerveau humain
Muotri et son équipe ont comparé leurs schémas électriques organoïdes cérébraux à un ensemble de données public de 567 enregistrements EEG provenant de 39 bébés nés prématurément, entre 24 et 38 semaines de gestation et plusieurs semaines après la naissance. De leurs premiers jours à neuf mois, les organites cérébrales ont produit des niveaux d’activité électrique similaires, suivant un schéma similaire : moins de temps de repos, impulsions électriques plus fréquentes.
Muotri explique qu’il est souvent interrogé sur les implications éthiques de ce travail, avec des questions telles que : « Sommes-nous trop près de recréer le cerveau humain ? ». Mais ces organoïdes diffèrent grandement d’un véritable cerveau humain. Ils sont plusieurs fois plus petits qu’un cerveau humain adulte. Ils n’ont ni hémisphères ni vaisseaux sanguins. Et ils ne sont pas entourés de protections osseuses ou connectés à d’autres tissus.
« Ils sont loin d’être fonctionnellement équivalents à un cortex complet, même chez un bébé. En fait, nous n’avons pas encore de moyen de mesurer la conscience ou la sensibilité ». Plus les organoïdes cérébraux développés en laboratoires seront performants, moins les chercheurs auront besoin de s’appuyer sur des modèles animaux et des tissus fœtaux pour mieux comprendre et traiter les maladies humaines.
Étudier l’interfaçage entre le cerveau et la moelle épinière
Les organoïdes cérébraux, bien que fonctionnellement plus restreints que leurs homologues humains, ne sont pas pour autant inactifs. Ils peuvent permettre aux chercheurs de mieux comprendre la manière dont le cerveau s’interface et s’organise avec la moelle épinière. En effet, pour les neurobiologistes du Medical Research Council Laboratory of Molecular Biology, les mini-cerveaux sont les systèmes parfaits pour mieux comprendre cette dynamique.
Une équipe de chercheurs, dirigée par la neurobiologiste Madeline Lancaster, a développé un organoïde composé de 2 milliards de neurones — équivalent au cerveau d’un fœtus âgé de 13 semaines, qu’elle a ensuite mis en contact avec un morceau de moelle épinière (contenant neurones et cellules gliales) et un tissu fibreux musculaire de souris. L’organoïde s’est ramifié afin d’établir le contact neuronal avec ces deux échantillons.
Quelques jours après, des contractions musculaires synchronisées mesurables sont apparues, l’organoïde ayant innervé la moelle épinière et établi des connexions synaptiques stables. Les chercheurs peuvent ainsi utiliser ces mini-cerveaux pour mieux comprendre les étapes de la hiérarchisation neuronale au sein de systèmes biologiques complexes.