Jusqu’à présent, il n’y a pas de véritable consensus quant au moment où notre conscience émerge au cours de notre enfance. Une équipe multidisciplinaire met en lumière de nouvelles preuves suggérant la présence d’un état de conscience en fin de grossesse (avant la naissance). Ces résultats pourraient avoir d’importantes implications non seulement cliniques, mais également éthiques et juridiques.
En observant les nourrissons durant leur développement, certains ont tendance à penser que leur conscience prend forme petit à petit, pour paraître évidente dès l’âge d’un an ou plus. Certaines réactions précoces (pleurs, sourires, grimaces, …) suggèrent qu’ils peuvent réagir à des expériences et y répondre. Cependant, les organisations neuronales nécessaires à cette capacité ne sont pas encore en place au moment de la naissance et ne se forment que plusieurs semaines plus tard. La compréhension détaillée du développement cérébral qui en est à la base s’est considérablement améliorée au cours des deux dernières décennies. Mais le moment exact où elle émerge pour la première fois fait l’objet de débats.
« Bien que presque chacun de nous ait été un bébé à un moment donné, la conscience du nourrisson reste mystérieuse, car il ne peut pas nous dire ce qu’il pense ou ressent », explique dans un communiqué Tim Bayne, de l’Université Monash (Melbourne). Comme nous ne nous souvenons pas d’une partie de notre enfance, « les chercheurs spécialisés dans la conscience ne parviennent pas à se mettre d’accord sur la question de savoir si elle apparaît tôt ou tardivement — à l’âge d’un an, ou même beaucoup plus tard », ajoute-t-il.
Ceux penchant en faveur de l’hypothèse de la conscience précoce suggèrent qu’elle émerge à la naissance ou peu de temps après. Certains proposent même une apparition dès 24 à 26 semaines d’âge gestationnel, notamment le moment où la connectivité thalamocorticale commence à s’établir. D’autres, en revanche, considèrent qu’il est peu probable que la conscience puisse prendre place avant l’âge d’un an.
Dans la nouvelle étude, parue dans la revue Trends in Cognitive Sciences, Bayne et ses collègues proposent une mise à jour des derniers progrès réalisés sur l’émergence de la conscience chez l’Homme. L’équipe est à la fois composée de neuroscientifiques, de psychologues et de philosophes, issus de l’Université Monash, de Tübingen (en Allemagne) et du Minnesota, ainsi que du Trinity College de Dublin.
« Notre objectif principal n’est pas de fournir une réponse définitive à la question de savoir quand (et sous quelle forme) la conscience émerge pour la première fois, mais de présenter les développements récents dans un cadre convaincant qui fera progresser la discussion sur cette question importante », précisent-ils dans leur article.
Un développement précoce de la conscience
La notion de conscience explorée dans l’étude implique la possession d’un point de vue, par rapport à une expérience. Un organisme est considéré comme étant conscient s’il possède une perspective subjective. En effet, il existe différents types de conscience. Par exemple, voir un visage est une expérience différente de celle que l’on vit en entendant une mélodie, ou lorsque l’on ressent de la douleur. Dans ce contexte, les chercheurs se concentrent sur le développement de la « conscience primaire » et non sur celles nécessitant une réflexion profonde. Étant donné que ces dernières peuvent être absentes même chez les adultes, il est très peu probable qu’elles se développent à la naissance ou avant.
Cependant, étant donné que la conscience est un phénomène subjectif, sa détection dans la petite enfance se heurte à d’importants défis méthodologiques. Les chercheurs se sont alors basés sur des marqueurs indirects, incluant des données d’imagerie cérébrale et permettant de distinguer un état conscient ou non. Cette méthodologie s’appuie sur les récentes avancées dans le domaine, impliquant notamment la détection du phénomène dans des contextes difficiles, tels que chez les patients adultes présentant de graves lésions cérébrales. Il s’agit de la première fois que cette technique de détection est appliquée à des nourrissons.
Après analyse, ils ont constaté que l’état de conscience était présent peu après la naissance. Ils suggèrent en outre que cet état pourrait être déjà actif au cours des dernières semaines in utero. « Nos résultats suggèrent que les nouveau-nés peuvent intégrer des réponses sensorielles et cognitives en développement, dans des expériences conscientes cohérentes pour comprendre les actions des autres [et leur environnement] et planifier leurs propres réponses », explique la co-auteure de l’étude Lorina Naci, du Trinity College.
Par ailleurs, la présente étude révèle que les nourrissons sont moins conscients de leur environnement que les adultes et mettent plus de temps à comprendre ce qui les entoure. De plus, ils démontrent plus de capacité à réagir aux expériences sonores qu’à celles visuelles. En revanche, ils peuvent traiter plus facilement des informations diversifiées, comme la sonorité de nouvelles langues par exemple. Toutefois, ces résultats ne signifient pas nécessairement que la conscience se développe soudainement à la naissance ou un peu avant, mais impliquent davantage un éveil progressif se mettant en place à mesure que le cerveau se structure.
D’importantes implications cliniques et éthiques
La question du moment de l’émergence de la conscience a de sérieuses implications cliniques, éthiques et potentiellement juridiques. En effet, il est important de noter par exemple que jusqu’à la fin des années 1980, il était courant de pratiquer différentes interventions médicales sur des nourrissons sans administration d’analgésiques ou d’anesthésiques. Cette pratique cruelle découlait de la perception largement répandue selon laquelle ils n’avaient pas encore développé la conscience de considérer la douleur comme étant pénible. Bien que les cliniciens admettent désormais qu’ils sont conscients de la douleur, le moment précis où cette capacité se développe fait encore débat.
Mis à part les implications liées à la perception de la douleur, la conscience est également considérée comme ayant une signification normative. C’est-à-dire que les individus possédant une conscience ont un statut moral différent de ceux qui en sont dépourvus. Ce statut peut par exemple jouer un rôle déterminant dans les décisions juridiques appliquées aux enfants.