Le « Great Pacific Garbage Patch », septième continent, continent poubelle ou encore vortex de déchets, est la zone océanique la plus polluée de la planète et la plus grande. Elle évolue entre Hawaï et la Californie. Notre consommation de plastique ne ralentissant pas, ces continents de plastique sont destinés à croître au fil des années. Mais ils ne seraient pourtant pas dépourvus de potentialité pour certaines espèces. Des chercheurs américains auraient ainsi mis en évidence tout un écosystème lié à ces nouveaux habitats artificiels, nous amenant alors à un dilemme : faut-il protéger ces nouveaux milieux ou nettoyer les océans ? Les scientifiques s’inquiètent également de l’impact éventuel sur les populations locales et côtières. Ces nouveaux continents pourraient permettre à des espèces de franchir des barrières biogéographiques jusque-là infranchissables et mettre en contact des espèces qui n’auraient jamais dû l’être. Le Great Pacific Garbage Patch impacterait, de manière inattendue, encore un peu plus la planète.
La consommation annuelle mondiale de plastique a maintenant atteint plus de 320 millions de tonnes, avec plus de plastique produit au cours de la dernière décennie que jamais auparavant. Une quantité importante de la matière produite sert à un usage éphémère, rapidement transformée en déchet.
Environ 60% du plastique produit est moins dense que l’eau de mer. De ce fait, lorsqu’il est introduit dans le milieu marin, le plastique flottant peut être transporté par les courants de surface et les vents, repris par les côtes, dégradé en plus petits morceaux par l’action du soleil, des variations de température, des vagues et de la vie marine, ou perdre sa flottabilité. Une partie de ces plastiques flottants est toutefois transportée au large et pénètre dans les gyres océaniques. Il s’agit de zones où différents courants marins convergent les uns vers les autres, et où se forment d’énormes tourbillons permanents, qui emprisonnent ainsi en leur centre tout ce que les différents courants apportent. Et bien évidemment, des déchets. On en dénombre cinq sur toute la planète : deux dans l’Atlantique, deux dans le Pacifique et un dans l’Océan Indien.
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C’est ainsi que celui du Pacifique, le « Great Pacific Garbage Patch » (GPGP), découvert en 1997, est le plus grand gyre de déchets, avec pas moins de 80 000 tonnes de détritus, selon une estimation de 2018. Il en comprend de toutes sortes, allant des filets de pêche aux bouteilles en plastique et bien sûr de minuscules fragments, les microplastiques. Ce continent artificiel s’étendrait sur plus de 1,6 million de km², soit trois fois la surface de la France.
Néanmoins, des chercheurs émettent l’hypothèse que ces continents de plastiques pourraient constituer de nouveaux habitats pour certaines espèces, notamment les espèces formant le neuston, c’est-à-dire l’ensemble des organismes liés à la surface de l’eau, à l’interface eau-atmosphère. L’un des plus célèbres écosystèmes flottants est celui constitué par les sargasses (algues brunes du genre Sargassum), formant des radeaux pouvant atteindre plusieurs kilomètres et habités par une faune associée très caractéristique (comme le Poisson-grenouille des sargasses, Histrio histrio). La plus grande étendue est située dans l’Atlantique Ouest et connue sous le nom de « Mer des Sargasses ».
Dans ce contexte, une équipe de chercheurs américains, menée par Rebecca R. Helm de l’Université de Caroline du Nord, a étudié la vie potentielle du continent de plastique. Il semblerait, de manière étonnante, qu’il renferme un écosystème particulier, des espèces y auraient trouvé refuge. Leur étude est publiée dans BioRxiv, mais non encore certifiée par les pairs.
Une vie qui s’organise en pleine mer, dilemme écologique
Les auteurs de l’étude se sont basés sur des découvertes surprenantes, rapportées par Ben Lecomte, nageur émérite longue distance (le premier à avoir traversé l’Atlantique à la nage en 1998). Plus il s’approchait du continent de plastiques, plus il découvrait une vie foisonnante. Étonnant, car sous le continent de plastique, le brouillard de microplastiques et de déchets nous laisse perplexes quant à une quelconque possibilité de vie sous-marine. Mais il semblerait que ce soit le contraire. Rebecca R. Helm a partagé sur Twitter des photos et des vidéos d’animaux trouvés dans ce milieu, expliquant l’étude publiée. L’une des vidéos montre des dragons de mer bleus. Ils sont recouverts d’une armure composée de cellules urticantes, récupérées des proies dont ils se sont nourris, comme les méduses.
OMG it literally took someone SWIMMING FROM HAWAII TO CALIFORNIA to discover this, but wow did we find something shocking in the Great Pacific Garbage Patch…
[a thread 🧵]…
Preprint: https://t.co/aWuSntbnBOpic.twitter.com/zeLKnBsqz1— Open Ocean Exploration (@RebeccaRHelm) April 29, 2022
Les auteurs de l’étude déclarent : « Nous avons constaté que les densités de vie flottante étaient significativement plus élevées à l’intérieur de la partie centrale du NPGP qu’à sa périphérie, et qu’il existait une relation positive significative entre l’abondance de neuston et l’abondance de plastique ». Ceci conduirait alors à penser que si nous entamons des campagnes de nettoyage de ce gyre (encore faudrait-il pouvoir le faire), nous détruirions un nouvel écosystème, nous mettrions en péril des espèces y ayant trouvé refuge. Le dilemme semble réel : faut-il conserver des déchets pour préserver ce nouvel écosystème produit par nos activités polluantes, ou tenter de nettoyer nos océans afin d’éviter de retrouver des microplastiques jusque dans notre corps ?
De nouveaux îlots de vie marine et des risques de colonisation
La prolifération des plastiques sur terre ainsi que des tempêtes côtières plus fréquentes et plus intenses, en raison du changement climatique, pourraient envoyer plus de déchets dans l’océan, créant donc un habitat supplémentaire. En effet, les espèces marines côtières se trouvent parfois transportées en mer sur des bûches et du bois. Mais ces matériaux se désintègrent rapidement et les êtres vivants qui s’y trouvaient périssent en mer.
À l’inverse, si ces espèces se trouvent transportées sur des débris plastiques, elles ne font pas que survivre, elles colonisent la haute mer. Elles peuvent former de nouvelles communautés sur les détritus en plastique flottants qui composent par exemple le Great Pacific Garbage Patch.
De plus, les îles de plastique pourraient également devenir des stations temporaires qui abritent des espèces envahissantes, pour les « renvoyer », au fur et à mesure que les courants changent, vers des îles ou des rivages divers. La découverte soulève donc des questions sur le fonctionnement de ces communautés, leurs développements et leurs implications sur le mouvement des espèces envahissantes. L’étude de 2018, publiée dans Nature, révèle quelque chose de totalement inédit : un mélange d’espèces côtières et de haute mer, réunies sur le plastique, créant une communauté néo-pélagique. Elle pourrait totalement transformer les réseaux trophiques que nous connaissons, l’écosystème de haute mer.
Enfin, le taux de changement évolutif induit par les nouvelles conditions de vie pourrait être extrêmement rapide, au risque de voir arriver sur nos côtes des espèces aux capacités nouvelles. Et plus les invasions sont nombreuses, plus nous aurons la chance, ou la malchance, d’observer une espèce avec un impact fort sur l’écosystème côtier local, mettant alors en péril les espèces autochtones. D’ailleurs, notons qu’après le tsunami japonais de 2011, des espèces côtières originaires du Japon se sont retrouvées, après avoir flotté en haute mer pendant des mois, voire des années, sur les côtes de l’Amérique du Nord.
Récemment, des campagnes de nettoyage en 2019, puis en 2021 et 2022, de l’organisation à but non lucratif « The Ocean Cleanup » ont suscité un certain scepticisme découlant directement du dilemme écologique précédent. Ces continents de plastique sont-ils donc voués à devenir de nouveaux milieux de vie à protéger, alors que par définition il s’agit de déchets, impactant l’environnement ? Espérons que ce type d’espèces et d’écosystèmes ne mettent pas en danger des espèces placées plus haut dans les chaînes alimentaires ou n’ayant pas ces capacités d’adaptation à la vie marine…