Depuis l’émergence de la technique d’édition génétique CRISPR-Cas9, des manipulations génétiques toujours plus audacieuses voient le jour. Les scientifiques ont notamment commencé à appliquer la technique chez les chiens. En combinant l’édition génétique au clonage somatique par transfert nucléaire, des chercheurs coréens ont pour la première fois donné naissance à des beagles dont les gènes modifiés sont plus stables et se répartissent plus uniformément, dès la première génération. La technique pourrait à terme limiter voire éradiquer les maladies génétiques chez les races de chiens pures, ou permettre de développer des traitements plus ciblés et plus précis. Mais les limites de la méthode restent encore peu connues et pourraient soulever des problèmes d’éthique chez les défenseurs des animaux.
Il y a près de 36 000 ans, l’homme aurait commencé à domestiquer les loups (Canis lupus), desquels descendraient la plupart des races canines d’aujourd’hui (à quelques exceptions près), dont notamment les chiens de compagnie (Canis lupus familiaris). Les milliers d’années de domestication du loup auraient ainsi modifié graduellement son génome, pour s’adapter progressivement aux besoins et aux préférences de l’homme. Cette évolution se serait effectuée par le biais de processus de sélection naturelle, ou au gré des migrations humaines — les races canines domestiquées se seraient croisées et mélangées à travers les continents.
Aujourd’hui, l’homme semble vouloir influencer plus radicalement cette évolution génétique grâce à la biotechnologie. Tout récemment, des chercheurs de la société coréenne ToolGen ont pour la première fois combiné la technologie CRISPR-Cas9 et le clonage, et ont fait naître deux bébés beagles, apparemment en bonne santé.
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Sur les chiens, la technique CRISPR-Cas9 a été utilisée pour la première fois en 2015 par des chercheurs chinois, sur la même race. Les deux chiens nés de l’expérience étaient étrangement plus musclés que la moyenne, notamment grâce à l’élimination du gène d’expression de la myostatine, limitant en temps normal le développement musculaire. L’objectif était apparemment de développer une nouvelle race plus apte à la course et à la chasse.
Cette technologie précise et peu coûteuse a incité de nombreuses autres entreprises à expérimenter de nouvelles races ou à « faire revivre » des animaux de compagnie de clients fortunés. L’avantage de cette technologie serait l’élimination de gènes responsables de maladies, ou encore l’amélioration de facultés cognitives et physiques.
Cependant, la technique de base est limitée, dans la mesure où les animaux nés sont des « chimères ». Avec cette technique, l’édition génétique s’effectue directement au niveau de l’œuf fécondé, qui est ensuite implanté chez une femelle porteuse. Mais comme la modification n’est pas représentée dans la totalité des cellules, un élevage est nécessaire pour reproduire les gènes à une fréquence plus élevée chez les générations futures.
« Les traits favorables qui résultent de l’édition génétique peuvent passer de génération en génération », expliquait à l’époque Liangxue Lai, chercheur au laboratoire clé de biologie régénérative des Instituts de biomédecine et de santé de Guangzhou, et l’un des auteurs de l’expérience sur Hercules et Tiangou. « Il sera possible d’élever un grand nombre de chiens génétiquement modifiés, qui pourront être commercialisés », ajoutait-il.
Quant au clonage somatique par transfert nucléaire, il a déjà été utilisé chez le chien, en Corée du Sud, pour produire un lévrier afghan noir et blanc. Baptisé Snuppy, le lévrier est né à partir des cellules de la peau d’une oreille du père, fusionnées avec les ovules d’une femelle porteuse.
Les avantages de deux techniques combinées
Dans la nouvelle étude, parue dans la revue BMC Biotechnology, les chercheurs coréens ont réussi à combiner cette technique de clonage avec l’édition génique CRISPR-Cas9. Grâce à cette combinaison, aucune reproduction n’est nécessaire pour que les gènes souhaités puissent s’exprimer entièrement.
Le principal avantage de cette nouvelle méthode est la possibilité d’éliminer les mutations génétiques pathologiques chez les chiens de race pure. Chez ces derniers en effet, le manque de diversité génétique conduit souvent à l’apparition plus fréquente de mutations phénotypiquement récessives. La technique de ToolGen pourrait ainsi modifier ces gènes sans risquer d’altérer d’autres traits, et conserver la pureté de la race canine.
La technologie pourrait aussi contribuer à la sauvegarde et la conservation de la biodiversité, en l’appliquant à des espèces menacées d’extinction. Pour la survie de leurs espèces, ces animaux sont souvent contraints de se reproduire entre parents proches, leur nombre ou leur territoire étant trop restreints. La consanguinité, engendrant une apparition plus fréquente de pathologies génétiques, constitue de ce fait une menace de plus pour la survie de ces espèces. La technologie coréenne pourrait potentiellement pallier ce problème, en éliminant les mutations pathogènes.
Dans leurs expériences, les chercheurs ont prélevé des cellules cutanées où une mutation du gène DJ-1 a été induite pour empêcher l’expression de la protéine qu’il code. Ce gène est notamment associé à diverses maladies, telles que Parkinson. D’autres gènes ont également été ajoutés, dont un exprimant une protéine verte fluorescente pour faciliter le suivi des cellules modifiées avec succès.
Pour le transfert nucléaire, les cellules ont été placées à proximité d’ovules dont l’ADN a été préalablement retiré. Les cellules et les ovules ont ensuite été fusionnés grâce à des impulsions électriques introduites dans leur environnement. Les 68 embryons obtenus ont été implantés chez six femelles porteuses.
L’expérience n’a toutefois donné naissance qu’à deux chiots, qui ont aujourd’hui 22 mois et ne présentent aucune anomalie. Cependant, comme les maladies induites par la DJ-1 sont liées à l’âge, les chiens pourraient peut-être développer des pathologies avec l’âge.
Les chercheurs ont également souligné que ces animaux serviront uniquement pour la recherche médicale. Par ailleurs, ce genre d’expérience est encore sujette à de nombreux débats d’éthique.